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 [Aux alentours de l'ambassade] Sur les traces de Diderot

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Guillaume Vial
Guillaume Vial
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■ profession : Lieutenant-colonel dans l'armée française, représentant l'armée de Vichy auprès des Allemands - accessoirement chef du réseau Honneur et Armée

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MessageSujet: [Aux alentours de l'ambassade] Sur les traces de Diderot   [Aux alentours de l'ambassade] Sur les traces de Diderot Icon_minitime1Ven 23 Oct - 21:57

- Diderot est en retard.
Guillaume Vial, installé au volant de la Citroën Traction noire que possédait Honneur et Armée, avait énoncé cette évidence d'une voix égale et froide qu'il adoptait en règle générale lorsqu'il était préoccupé. Là où un autre se serait mis à pianoter nerveusement sur le volant ou se serait volontiers plaint de cette longue attente – puisqu'après tout, ils planquaient depuis déjà plusieurs dizaines de minutes devant l'entrée de l'ambassade de Vichy dans le VIIe arrondissement –, le lieutenant-colonel Vial était devenu de plus en plus immobile et silencieux, et son air impassible décourageait quiconque de lui adresser la parole. Les yeux fixés sur les portes de sortie que des gendarmes français gardaient, dans l'attente de voir l'homme qu'ils étaient venus attendre en franchir le seuil, il paraissait entièrement tendu vers cet instant, la main prête à saisir son arme ou à lancer le déclencheur de la voiture pour la faire bondir loin d'éventuels poursuivants. Depuis les événements des Champs-Elysées et le renforcement de la sécurité qui en avait découlé, chaque résistant de la capitale était de toute façon plus attentif à ne pas se laisser stupidement piéger par une erreur d'inattention, même si dans le cas de Guillaume, il avait été formé dans l'armée à devoir face à toute éventualité et n'avait pas attendu les erreurs de cette journée de mai pour se tenir prêt. Mais si l'explosion de la bombe au milieu des civils, leur incapacité à contenir la foule et l'omniscience du chef de la sécurité parisienne, Brechenmacher n'expliquaient pas l'attitude de Vial, sans doute étaient-elles pour quelque chose dans son air sombre qui ne le quittait plus, en plus d'être la raison de leur présence devant l'entrée de l'ambassade de Vichy en cette fin d'après-midi, dans cette voiture garée non loin, assez pour observer tranquillement sans se faire repérer, et voir enfin Diderot quitter son travail.
- Il devait sortir à 16h30, continua le lieutenant-colonel, tout en jetant un coup d’œil à sa montre, il est déjà moins le quart, il va finir par nous faire repérer.
Quittant le cadran des yeux, il coula un regard dans le rétroviseur pour constater que deux personnes approchaient, ce qui crispa encore davantage ses doigts sur le volant de la voiture, mais il se détendit légèrement en constatant qu'il ne s'agissait que d'un couple qui se promenait dans la rue et ne prêtait aucunement attention à eux. La jeune femme fit même un instant stopper la marche pour s'accrocher au cou de son compagnon et l'embrasser, ce qui ne tira qu'une moue désintéressé de Guillaume qui accorda de nouveau sa pleine attention à l'entrée de l'hôtel de Matignon. Ou presque du moins, car Thibaud Pelletier s'agita dans son siège à ses côtés ce qui lui attira un coup d’œil de Guillaume. Ce n'était pas la première fois qu'ils étaient tous les deux en planque et Thibaud était désormais assez habitué à Vial pour savoir qu'il n'y avait pas grand chose à tirer de lui quand il était si impassible. Il le connaissait également assez pour savoir que le chef du réseau Honneur et Armée détestait profondément quand tout ne se déroulait pas comme il l'avait prévu. S'il était capable d'improviser quand la situation l'exigeait, il préférait nettement quand tout était soigneusement planifié (selon un plan établi par lui-même de préférence) et quand il pouvait tout contrôler – car lorsque la situation lui échappait, le pire devenait possible et il ne maîtrisait plus rien à ce qui pouvait lui arriver et pire, à ce qui pouvait arriver à ses compagnons d'armes. Une simple erreur et le destin d'un réseau pouvait basculer et s'effondrer, comme un château de cartes auquel on aurait simplement retiré une carte à la base. Ces erreurs, ce pouvait simplement se faire déborder par une foule dont on a sous-estimé l'exaspération. C'était parfois juste arriver en retard à un rendez-vous. A un simple fichu rendez-vous.

L'ambassade semblait être en train de dégorger tous ceux qu'elle avait avaler le matin même. Des têtes plus ou moins connues, que l'on lise plutôt le Courrier Parisien ou Le Réveil, que Vial avait, pour certaines, croisées lors de la réception organisée pour la nomination du nouveau représentant de Vichy. Il y en avait par dizaines de ces grandes figures de la collaboration, mallette à la main, l'air affairé que l'on se donne toujours quand on estime effectuer un travail bien fait, bien inconscients que du loin de sa Citroën, deux hommes les fixaient pour scruter leurs traits et reconnaître Diderot parmi eux, avec un écœurement palpable. Dire qu'il faisait parti de la meute de ces toutous fidèles à leur maître allemand quand il se retrouvait derrière son bureau de la délégation de l'armée de Vichy à Paris... Cette fonction avait posé des problèmes de conscience sans fin au lieutenant-colonel, qu'il avait résolu en fondant son réseau de résistance pour rétablir un peu de justice et d'honneur dans cette France exsangue, quitte à aller plutôt les chercher du côté des communistes – Thibaud n'était peut-être pas républicain mais il se battait avec plus de courage que beaucoup – ou des Français de cœur, quand d'autres avaient abdiqué. Ces autres petits fonctionnaires accomplissaient leur tâche au jour le jour, persuadés d'être dans leur bon droit, endormant leur conscience à coup de promesses et de privilèges. Et dire que c'était eux qui menaient grand train, sortaient d'un bâtiment où avait siégé pendant longtemps le ministre du Conseil et se promenaient dans les rues sans rien craindre, la tête haute, jusqu'à ne songer qu'à s'y embrasser, quand les autres devaient se cacher dans l'obscurité un brin morbide d'une Citroën Traction, la voiture devant laquelle on s'écartait par peur des uniformes gestapistes qu'elle dissimulait en règle générale. C'était ainsi que Guillaume avait résolu son dilemme. Il ne voulait plus qu'ils puissent sortir dans Paris en toute impunité. Il les voulait voir baisser la tête et craindre à chaque instant pour leur vie, comme les résistants craignaient pour la leur. En attendant la victoire alliée qui apporterait enfin la justice et pousserait tous ces bandits de la pire espèce derrière les barreaux.

Parmi eux, pourtant, il y avait Diderot. C'était Guillaume lui-même qui avait recruté ce gratte-papier terne qui travaillait dans la paperasse de l'ambassade. Il avait pour avantage de pouvoir laisser traîner ses regards un peu partout car il classait méticuleusement les actes et les lettres signés de la main de l'ambassadeur. Il avait aussi pour habitude d'entendre beaucoup d'informations auxquelles il n'aurait jamais du accéder. Guillaume soupçonnait ses interlocuteurs de ne pas assez se méfier de cet homme sans envergure que l'on n'aurait jamais imaginé donner des informations à un réseau de résistance. Néanmoins, il prenait de grands risques, raison pour laquelle il avait plusieurs fois voulu tout stopper, ce dont Guillaume l'avait empêché, avec un habile mélange d'arguments rationnels (le pauvre homme s'indignait du sort réservé aux Juifs) et de menaces (on ne quittait après tout pas la Résistance aussi facilement), mais ce qui lui donnait de la valeur aux yeux du lieutenant-colonel qui avait en lui sa seule source d'information au sein de l'ambassade. Comme quoi, parfois, le courage se révélait chez ceux qui n'en avaient pourtant pas l'envergure. Comme quoi, au centre de la pire meutes de chiens, certains refusaient de rester couchés. Mais en cet instant, Guillaume était surtout mêlé, à son égard, d'un mélange de profond agacement et d'inquiétude. Il n'était pas normal que Diderot soit autant en retard et tout ce qui sortait de la norme était suspect en ces temps où l'on recherchait activement un traître au sein de la résistance, cette personne qui avait vendu ses camarades à l'armée allemande qui avait pu quadriller la zone et empêcher la pose de la bombe dans les tribunes. Guillaume qui n'avait eu de cesse de le défendre et d'avoir confiance en lui malgré les hésitations de l'homme à qui on avait attribué le pseudo d'un autre gratte-papier, de plus haute volée celui-là, espérait fortement de pas s'être trompé dans le recrutement. Diderot avait en tout cas mal attaqué son test.

- Et attendez la crème..., commenta-t-il soudain en direction de Thibaud, en voyant une tête beaucoup plus connue que les autres sortir rue de Varenne pour s'engouffrer dans une voiture de fonction officielle, savais-tu qu'Edouard Cabanel a une passion pour les statuettes égyptiennes ? J'ai appris de la bouche même de Lengefeld qu'il les collectionnait dans son bureau, tu vois à quel point j'ai appris des choses essentielles le soir de la réception. On choisit des gens de plus en plus improbables pour représenter Vichy, bientôt on ira chercher les momies du Louvre elles-mêmes, je suis sûr qu'elles sont aussi réactives que ce Cabanel face aux exigences des Allemands, poursuivit-il, mi-figue mi-raisin, sans se départir de son ton neutre qui donnait parfois tant de mal à départager ses interlocuteurs quand il s'agissait de savoir s'il était ironique ou pas.
Il jeta de nouveau un coup d’œil à sa montre alors que la voiture de l'ambassadeur s'éloignait et que le flux des employés commençait à devenir de moins en moins conséquent. Diderot avait désormais une demi-heure de retard et il était désormais temps de plier bagages s'il n'arrivait pas d'une minute à l'autre, mieux valait flairer le piège plutôt que tomber dedans. Mais au moment même où il allait le proposer à Thibaud, Diderot fit enfin son apparition, dans son éternel costume gris, le visage à moitié caché par d'énormes lunettes rondes aux montures épaisses qu'il ne cessait de remonter sur l'arête de son nez, d'une manière que Guillaume trouva un peu nerveuse. Il démarra immédiatement la voiture alors que leur informateur marchait d'un bon pas pour retrouver le logement qu'il occupait seul quelques rues plus loin.
- Je vais arrêter la voiture rue Rousselet, indiqua Guillaume à son complice, on stoppera Diderot et on lui fichera la trouille pour qu'il nous dise si c'est lui qui parle aux Allemands. Pas trop, tout de même, qui veut voyager loin ménage sa monture, et il est un peu fragile. Je te laisse faire, Thibaud, n'oublie pas que je suis Masséna pour lui, seulement le secrétaire de X1, et un gars gentil qui lui a donné l'occasion de racheter les erreurs de Vichy, en partie du moins.
Lançant sa Citroën à pleine vitesse pour doubler Diderot en faisant un détour, il lança un dernier regard de connivence à Thibaud. Leur mission ne faisait que commencer et d'ici quelques dizaines de minutes, il saurait enfin si le traître qui avait causé la mort de tant de personnes innocentes était issue de leurs rangs.
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MessageSujet: Re: [Aux alentours de l'ambassade] Sur les traces de Diderot   [Aux alentours de l'ambassade] Sur les traces de Diderot Icon_minitime1Jeu 5 Nov - 16:13

Guillaume semblait nerveux. Ce n’était pas une bonne chose ; le chef d’Honneur et Armée était déjà assez bougon quand il était reposé. Quand il devenait nerveux, il devenait carrément fermé comme une guître ; Une huître passablement moribonde. Thibaud n’aimait pas cela, il détestait le silence que faisait régner son supérieur dans la voiture. Une planque, normalement, était censé être un moment d’attente, mais aussi une occasion de discuter, d’échanger des points de vue ou de planifier les prochaines actions. Thibaud étant un haut gradé du réseau, Guillaume partageait ce genre d’informations avec lui. Mais cette planque-là était devenue une prison de silence que le jeune homme n’osait pas briser. Il savait que s’il l’ouvrait trop, il se prendrait le regard noir de Vial, peut-être même une remarque acerbe sur sa capacité à parler pour ne rien dire. Alors, puisqu’il n’avait pas franchement envie de se prendre un sermon maintenant, Thibaud prenait son mal en patience, renfrogné, au fond du siège de la Citroën. Il n’aimait pas cette voiture, d’ailleurs. Qualité française, mauvaise, trop fragile, et pas pratique. Thibaud aurait préféré être à pied ; ou en tank, mais c’aurait été moins discret.

Diderot était donc en retard, et pas qu’un peu. Peut-être qu’un quart d’heure ne signifiait rien pour ce fonctionnaire, mais cela signifiait le monde pour des hommes comme ceux d’Honneur et Armée. La ponctualité, ça rentrait dans la case « Honneur ». Chaque minute qu’ils passaient arrêtés dans cette voiture pourrie était une occasion pour un policier ou un soldat allemand de trouver ça louche et de venir les interroger. Et si cela venait à arriver, Thibaud ne donnait pas cher de leur peau.

Thibaud n’avait jamais apprécié Diderot. De base, il n’aimait pas les fonctionnaires au service de Vichy, c’était une évidence. Mais celui-ci était un lâche doublé d’un idiot. Clairement pas le specimen le plus évolué de son espèce. Lorsque Guillaume avait décidé de l’approcher afin d’en faire un informateur, sous prétexte que l’homme était indigné de la condition des Juifs et volontaire pour aider, Thibaud s’y était fermement opposé. Il refusait de faire confiance à un homme pareil, sur de simples paroles. Seuls les actes étaient vrais. Mais c’était Guillaume le chef, et il s’était entêté, comme souvent. Sauf que, avec les récents évènements des Champs-Elysées, Honneur et Armée savait qu’il y avait un traitre parmi la résistance, et Diderot faisait un bon suspect. Si c’était réellement lui qui avait informé les allemands des plans pour la bombe, Thibaud pourrait afficher un magnifique « je te l’avais dit » sur les affaires de Vial. Après avoir écorché l’informateur vif, évidemment. Le jeune homme n’attendait que ça, pouvoir faire payer l’homme qui les avait trahis. L’honneur était une variable extrêmement importante pour lui ; sans honneur, on n’était pas un homme, juste un animal rampant. La fidélité aussi était importante. Le traitre n’avait ni l’un ni l’autre, il méritait donc amplement le sort que lui réservaient les résistants. Mais la liste des suspects était relativement longue. Trop longue pour Thibaud, qui avait gentiment proposé que l’on tue tous les noms de la liste, dans un souci de sécurité. Dieu sait pourquoi, son idée n’avait pas été retenue.

Tout à coup, Guillaume se mit à parler, ce qui tira Thibaud de ses réflexions. Il suivit le regard du lieutenant-colonel et aperçut Cabanel. Ah oui, lui. Thibaud n’aimait pas les politiques, communiste oblige, mais Cabanel l’agaçait plus que les autres. Il n’aurait su dire s’il préférait De Mazan à ce blondinet trop propre sur lui et son sourire niais. Guillaume était obligé de se mêler à ce genre de personnalités, et l’ouvrier se réjouit bien de ne pas être à sa place. Néanmoins, cela donnait des anecdotes plus ou moins intéressantes, comme la passion de l’ambassadeur pour l’Egypte antique. Bah oui, il n’avait qu’un pays à sauver, cela devait lui laisser largement le temps de collectionner des trucs vieux de centaines d’années. Bon Dieu, dans quel monde vit-on ?

« En plus Lengefeld se reconnaitrait dans une momie, il pourrait s’en faire un ami, ça le dériderait un peu. Franchement, je ne sais pas pourquoi on l’a choisi lui. On aurait pu mettre quelqu’un d’autre, je sais pas, De Boynes a au moins un certain charisme. Même la ménagère d’Aurèle aurait plus fait l’affaire », ajouta-t-il en souriant. Une femme. Mais bien sûr.

Enfin, après plusieurs minutes d’attente, Diderot pointa le bout de son nez. Sapé comme un fonctionnaire, avec un air de fonctionnaire sur une tête de fonctionnaire. Même à cette distance-là, Thibaud fit une grimace ; cet homme l’incommodait. Au moins, ils étaient maintenant en mouvement. Guillaume redémarré la voiture tout en donnant ses directives. Thibaud sourit : ficher la trouille, avec plaisir. Il aurait le droit de frapper un peu ?

La voiture se stoppa donc rue Rousselet, les deux camarades en sortirent discrètement mais prestement, et attendirent à un coin que Diderot passe. Ce qu’il ne manqua pas de faire, ne dérogeant jamais à sa routine. Là, Thibaud l’attrapa et l’attira vers la ruelle, avant de le poser presque doucement contre un mur. Diderot faisait maintenant face à deux gaillards aux regards pas franchement avenants.

« Salut le gratte papier. Ca fait longtemps. On t’a attendu, c’est pas vraiment gentil d’être en retard. »

Et il sourit, un sourire carnassier. Si l’autre faisait mine de bouger, il ne ferait qu’une bouchée de lui. Déjà le pauvre Diderot commençait à trembler en lançant des regards fébriles de part et d’autre, en évitant soigneusement de regarder Thibaud. Bon sang, aucun courage.

« Hé, je suis là, regarde-moi. Tu te souviens de Masséna ? C’est lui qui t’as donné une chance, vieux. Et maintenant, il a quelques questions, et tu vas y répondre sans mentir ok ? Sinon t’as affaire à moi. »

Et sur ces mots, il lança un regard convenu à Guillaume. Faire peur, c’était le domaine de X-3. Poser les questions, c’était plutôt pour X-1. Thibaud était plus doué pour frapper que pour causer.
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Guillaume Vial
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MessageSujet: Re: [Aux alentours de l'ambassade] Sur les traces de Diderot   [Aux alentours de l'ambassade] Sur les traces de Diderot Icon_minitime1Sam 5 Déc - 3:25

Les anciens camarades de la promotion de Guillaume Vial à Saint-Cyr lui auraient sans doute demandé pourquoi il faisait confiance à un type comme Thibaud Pelletier. Il fallait dire que Pelletier, l'ouvrier communiste qui n'avait expliqué clairement pourquoi il maniait aussi bien les armes mais que Guillaume soupçonnait fort d'être passé en URSS à un moment donné de sa carrière de militant syndicalisé, aurait dépareillé au milieu de la fine fleur de l'armée française. Il n'avait rien de l'officier qu'était le lieutenant-colonel Vial, avec sa propension à toujours discuter les ordres, comme par principe, sa grande gueule et son enthousiasme pour frapper avant de discuter, jusqu'à en devenir la caricature de lui-même quand il proposait des choses farfelues, comme d'éliminer tous les possibles suspects d'un trait de crayon, comme si tout était aussi simple. Et puis surtout, il y avait ces convictions qui faisaient de lui un traître en puissance, puisqu'il mettait en avant les intérêts de sa révolution avant ceux de la France. Toujours était-il que les soldats formés en même temps que Vial, qui l'avaient connu sous la tutelle d'un certain De Gaulle, toujours obéissant et certain de ses valeurs républicaines, libérales et protestantes, auraient halluciné en le voyant faire équipe avec un tel énergumène. Seulement voilà, Vial avait confiance en quelqu'un, c'était bien dans cet ouvrier avec lequel il ne partageait presque aucune conviction. Thibaud n'avait peut-être rien d'un militaire bien droit dans ses bottes, couvert de médailles bien alignées, mais il était plus honorable que n'importe lequel de ces soldats restés à Vichy à se battre pour obtenir la francisque. Guillaume avait la chance de savoir très vite sur qui il pouvait compter ou non, et Pelletier faisait clairement parti de la première catégorie. Fidèle en amitié, le communiste le rejoignait sur l'essentiel : il fallait faire sortir les Allemands de ce pays, en leur bottant les fesses s'il le fallait. Et s'il râlait, s'il tapait parfois sur les nerfs de son chef qui n'appréciait guère être contredit, le chef en question lui aurait confié sa vie sans la moindre hésitation. La guerre avait tendance à faire sortir à la fois les pires et les meilleurs côtés des hommes. Avant l'occupation nazie, le lieutenant-colonel n'aurait sans doute jamais adressé la parole à un type pareil. Maintenant, ils faisaient une sacrée équipe, à l'image de leur réseau de résistance, sans distinction politique, religieuse ou sociale. Guillaume n'avait pas véritablement d'amis, il était beaucoup trop solitaire pour cela, mais Thibaud était certainement de ceux qui s'en rapprochaient le plus. Après tout, même s'il ne l'aurait jamais avoué, il aurait également donné sa vie pour défendre celle de Pelletier, autant parce que c'était lui qui avait entraîné l'ouvrier dans cette galère, que parce qu'il pensait que Thibaud méritait de s'en sortir, histoire d'avoir la chance de la mener à son terme, sa révolution. Bon d'accord, aussi parce qu'il lui vouait une certaine affection.

Mais si Vial avait une confiance aveugle dans les autres X de son réseau, ce n'était certainement pas le cas de ses informateurs et autres courriers, souvent recrutés par défaut et parce qu'ils côtoyaient tous les jours des Allemands ou des collaborateurs intéressants pour Honneur et Armée – lesquels auraient tôt fait de constater l'imposture si l'informateur en question n'était pas un bon menteur. Diderot était même plutôt dans le collimateur de X1. Quand il avait fallu se poser la question du traître qui pouvait se trouver dans leur réseau, quand il avait fallu établir une liste claire – ce qui n'avait pas manqué de causer des disputes entre les X –, Guillaume avait tout d'abord refusé de le considérer. Pour une raison qui lui échappait, il ne pouvait pas imaginer ce petit scribouillard les doubler, lui qui semblait tant culpabiliser de sa situation. Mais il avait du se rendre à l'évidence et se montrer raisonnable : Diderot avec sa lâcheté et sa peur panique de faire une erreur avait très bien se trahir et eux avec. Pire encore, il avait été au courant de la bombe qui devait exploser, même si les circonstances avaient du lui sembler floues, ne serait-ce que parce que le soit-disant Masséna lui avait demandé des renseignements sur l'organisation du défilé et s'était bien assuré que tout le gratin de l'occupation allait occuper les tribunes auprès de Glucks. Il avait donc toutes les raisons de figurer tout en haut de la liste de leurs suspects, de ceux parmi lesquels il fallait faire le ménage. C'était Guillaume lui-même qui avait employé ce terme, sans sourciller, parce que la résistance ne nécessitait pas d'état d'âme. Combien même ce mot répugnant lui semblait tout droit sorti du vocabulaire de la Gestapo. Mais l'époque n'avait pas besoin d'hésitation et de scrupules, il fallait désormais agir.

En parlant d'action, Diderot ne s'attendait visiblement pas à celle qui allait lui tomber dessus. En l'occurrence, deux hommes à l'air patibulaire, dont l'un arborait une mine particulièrement renfrognée, les mains dans les proches de son manteau. C'était Thibaud qui s'était saisi de lui pour l'attirer dans une ruelle déserte pour lui signaler avec un sourire carnassier qui ne donnait pas envie de rester trop longtemps entre ses mains :
- Salut, le gratte papier, ça fait longtemps. On t'a attendu, c'est pas vraiment gentil d'être en retard.
- On aurait pu se faire repérer, renchérit Vial en le saluant d'un simple signe de tête, avant de jeter un regard à droite et à gauche pour bien vérifier que personne ne s'inquiétait d'eux. Mais non, le bruit n'avait attiré personne, même pas ces concierges bien intentionnées qui s'empressaient toujours d'appeler la police, à croire que pour elles la dénonciation était devenu un sport national. Il ne faudrait pas trop traîner pour autant.
- Hé, je suis là, regarde-moi. Tu te souviens de Masséna ? C'est lui qui t'a donné une chance, vieux. Et maintenant, il a quelques questions, et tu vas y répondre sans mentir, ok ? Sinon t'as affaire à moi, poursuivit Thibaud, en obligeant Diderot à le fixer alors que celui-ci paraissait chercher une sortie de secours, ce qui était proprement stupide, on n'échappait pas à Honneur et Armée.
Guillaume observait désormais le fonctionnaire avec une attention renouvelée. Tout dans son attitude indiquait qu'il était mal à l'aise de leur faire face. Qu'avait-il donc fait ? Que leur cachait-il ? Ne se rendait-il pas compte qu'à donner l'impression qu'il voulait s'enfuir, il leur semblait encore plus suspect ? Mais pendant ce temps, Thibaud avait fait sa part du job, et il lui adressait déjà un regard convenu. Au tour du gentil Masséna, le secrétaire dévoué de X1 qui se déplaçait souvent à la place de son chef pour lui éviter les arrestations. Le type qui avait recruté Diderot un jour parce que celui-ci lui avait raconté à quel point son boulot le rendait malade.
- Crois-moi, Diderot, prononça-t-il enfin de son ton ferme mais teinté de sympathie feinte, tu ferais mieux de ne pas trop énerver mon ami, il est un peu sur les nerfs depuis les attentats des Champs-Elysées qui ont échoué. Un peu comme notre chef en fait, X1 n'est pas très content...
- Dites bien à votre chef que je n'ai rien fait ! Le coupa Diderot avec précipitation, les yeux toujours roulant de part et d'autre de la rue, le front en sueur et les lunettes sur le bout du nez, j'y suis pour rien dans cet échec, je vous avais donné les bons plans, c'est pas de ma faute si ce type de Berlin n'a pas fait le trajet convenu... Je vous jure...
- Mais moi, je ne demande qu'à te croire, vraiment, je suis là pour t'aider, lui répliqua Vial en espérant stopper sa panique, calme-toi. Tu me connais, je suis ton vieux pote Masséna, le mec qui t'a fait rentrer dans ce réseau, évidemment que tu voulais bien faire, je veux juste savoir la vérité, sinon je pourrais rien faire pour toi. Il n'est pas très commode, X1...
On y était, Diderot pleurnichait. Ses grands yeux derrière les verres de ses lunettes s'étaient empli de larmes et il jetait des coups d’œil paniqués en direction de Thibaud dont l'expression ne donnait pas vraiment envie de lui confier quoi que ce soit en cet instant et surtout pas sa vie, il fallait bien le dire.

Diderot allait répliquer quand un bruit de pas se fit entendre. L'index sur la bouche, Vial lui commanda de se taire mais rien à faire, de gros sanglots continuaient à faire trembler les épaules du gratte-papier de l'ambassade de Vichy, comme s'il était dans un telle crise d'angoisse qu'il ne pouvait pas s'en empêcher. Fort heureusement, ils se trouvaient dans un coin renfoncé de la ruelle et la femme qu'ils virent passer d'un bon pas rue Rousselet ne s'arrêta pas.
- Cesse donc de pleurer, Diderot, je te prie, reprit le soit-disant Masséna, en tentant de dissimuler l'agacement que lui inspirait cette attitude.
- Je ne veux plus, je ne peux plus..., pleurait Diderot, j'ai pas les nerfs pour faire ça, je veux tout arrêter...
- Je t'ai déjà expliqué que ce n'était pas possible, on ne peut pas quitter la résistance comme ça, tu sais trop de choses maintenant et on a besoin de toi, répondit Guillaume, exaspéré, en regrettant finalement de devoir jouer le gentil dans cette histoire, quand ses propres nerfs le démangeaient autant, on vient juste te poser quelques questions, tu n'as qu'à y répondre le plus simplement du monde, d'accord ? A nous dire la vérité, et on te laissera tranquille.
Cet homme pouvait-il réellement être un agent des Nazis ? Guillaume en doutait fortement mais il était certain que si les Allemands l'avaient un peu cuisiné, il avait pu tout avouer. Restait à savoir si ces derniers l'avaient retrouvé, jusqu'au sein de l'ambassade de Vichy.
- Je vous avais donné le bon plan du défilé, celui qu'on avait eu à l'ambassade, je vous jure, bredouilla Diderot, avant de continuer d'une voix plus forte qui crispa Vial, toujours occupé à surveiller les alentours, je suis innocent, ce Glucks aurait du aller dans les tribunes...
Bon Dieu, mais c'est qu'il allait devenir hystérique ! De guerre lasse, le visage encore plus fermé qu'auparavant, Vial se retourna vers Pelletier pour lui demander de son ton ferme qui n'admettait pas de réplique, combien même ce n'était pas X3 qui allait rechigner à la besogne :
- Je crois que notre ami n'a pas très bien saisi quel était notre problème. Ce n'est pas lié au parcours du défilé. Tu pourrais le lui expliquer ? Sans violence, évidemment, ce n'est pas notre genre... Et fais-le se calmer, par pitié.
Puisque la méthode douce n'avait pas eu de résultats très probants, Diderot allait donc passer entre les mains de Pelletier. Pas sûr qu'il y gagne au change, mais Guillaume Vial avait besoin de réponses. Pour sa propre sécurité comme pour celle de tous ceux qui comptaient sur lui.
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MessageSujet: Re: [Aux alentours de l'ambassade] Sur les traces de Diderot   [Aux alentours de l'ambassade] Sur les traces de Diderot Icon_minitime1Sam 12 Déc - 21:37

Ce Diderot était pitoyable. Thibaud l'avait toujours dit, depuis que Guillaume leur avait annoncé qu'il le recrutait comme informateur. Et aujourd'hui, le gratte-papier leur offrait à tous les deux toute l'étendue de sa pitoyable lâcheté. Thibaud était peut-être une grande gueule, il aimait peut-être contredire les ordres par principe, parce qu'on lui avait appris à le faire, pourtant il respectait le jugement de Guillaume Vial. Il avait connu peu d'hommes aussi intuitifs que Vial, même lors de ses classes en URSS, où l'intuition faisait souvent la différence entre la vie et la mort. Mais derrière son calme apparent, agaçant même, lorsque Guillaume prenait une décision, il la prenait avec ses tripes; et en général c'était la bonne. Mais là, sur Diderot, il semblait qu'il s'était trompé. Et cette erreur avait peut-être entrainé le massacre du défilé des Champs Elysées.

Guillaume menait son interrogatoire d'une main de maitre, passant pour le gentil flic alors que Thibaud jouait le rôle du méchant. Tant qu'à faire, le jeune homme préférait cette configuration, il n'était vraiment pas doué pour jouer le gentil. Alors que Guillaume, aussi froid qu'il puisse être, pouvait se montrer d'une douceur presque attendrissante. Il devenait Masséna, le gentil secrétaire de X1. Ce petit manège était un stratagème intelligent, qui permettait de protéger Guillaume en tant que dirigeant d'Honneur et Armée. Mais en soi, c'était assez schizophrène, et même Thibaud parfois s'y perdait entre les deux identités. Il était surtout admiratif de l'adresse avec laquelle son chef passait de l'une à l'autre. Il se contenta donc d'observer Guillaume, en tenant fermement Diderot contre le mur et en lui jetant des regards assez noirs pour lui passer l'envie de tenter de s'échapper.

Le gratte-papiers, entre deux regards paniqués, assura qu'il n'avait rien fait. Qu'il avait donnés les bons plans. Thibaud leva les yeux au ciel ; si le problème était venu des plans et du trajet de Glucks, leur tâche aurait été nettement plus simple. En plus d'être lâche, Diderot n'était pas la flèche de l'année. Et voilà qu'il pleurait. C'était de pire en pire. S'il appelait sa mère, Thibaud ne pouvait pas promettre qu'il ne lui mettrait pas son poing dans la figure. Tant de pathos, ça l'énervait. Cet informateur avait-il perdu son organe génital en cours de route ?

"Je ne veux plus, je ne peux plus..., pleurait Diderot, j'ai pas les nerfs pour faire ça, je veux tout arrêter..."

Thibaud raffermit sa prise sur le col de l'informateur. Il voulait se défiler ? Comme si c'était si facile. Comme si c'était même imaginable. Il s'imaginait quoi, qu'ils allaient le laisser partir, comme ça ? Il voulait les dossiers de tous les membres du réseau avec ? Leurs projets à venir, les prochains sabotages ? Décidément pas la flèche de l'année. Heureusement, Guillaume lui fit comprendre assez vite l'énormité de son erreur. Et après encore quelques jérémiades, il finit par laisser tomber. Thibaud soupira lorsqu'il comprit que le relais lui était passé. Thibaud, il aimait bien frapper les gens, fomenter des complots. La parlotte, on ne lui avait pas appris. Il n'était vraiment pas doué pour ça. En général, les gens finissaient en pleurs et l'on apprenait rien. Mais il vrilla son regard dans celui de Diderot et prit sa voix la plus ferme possible.

« Bon, écoute, on va mettre deux trois choses au clair. L'itinéraire de Glucks, c'est pas notre problème. Donc ne nous mène pas en bateau, ok ? Si tu veux bien arrêter deux secondes de chouiner comme un gamin de huit ans, je t'expliquerai la situation. »

Diderot se calma instantanément, laissant échapper quelques gémissements discrets de temps en temps. Thibaud sourit, satisfait. Finalement, on irait peut-être quelque part.

« Bien, c'est gentil. Alors, voilà le problème. Quelqu'un est allé voir nos amis les allemands, et leur a dit ce qu'on préparait pour Glucks. On nous a vendu, tu suis ? Résultat, l'opération a été compromise, et des gens ont été tués. Et quand je dis des gens, je veux dire pas ceux qu'on voulait tuer à la base. Tu vois où est notre problème maintenant ? »
« Vous croyez que c'est moi qui vous ai vendus ? » demanda Diderot, hésitant.
« Tu vois, on avance ! », répondit Thibaud avec un sourire carnassier.
« C'est pas moi ! Je vous ai pas vendu ! Je vous promet ! Me faites pas de mal ! » reprit l'autre de plus belle, et les sanglots reprirent. Thibaud lança un regard implorant à Guillaume, l'idée d'assommer Diderot pour le faire taire devenait vraiment alléchante.

« Arrête de pleurer ! Si c'est pas toi, qui alors ? »
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Guillaume Vial
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MessageSujet: Re: [Aux alentours de l'ambassade] Sur les traces de Diderot   [Aux alentours de l'ambassade] Sur les traces de Diderot Icon_minitime1Lun 28 Déc - 22:07

Guillaume Vial était un homme plutôt patient – d'ailleurs, il était plutôt rare de le voir perdre son calme combien même on pouvait se montrer agaçant ou de mauvaise foi envers lui. C'était plutôt le genre de militaire d'une froideur un peu inquiétante qui vous jaugeait d'un regard méprisant (et qui vous passait l'envie de vous moquer de lui). Quand il s'agissait de filer quelqu'un ou de le faire parler, il pouvait attendre des heures et des heures sans jamais rien lâcher, sans jamais se décourager. C'était peut-être la raison pour laquelle il était le chef incontesté d'Honneur et Armée. En gardant la tête froide en toute circonstance, il ne risquait pas de mettre en danger le reste de son réseau à cause d'une décision prise sur un coup de tête ou décidée trop rapidement. D'ailleurs, depuis maintenant trois ans, tout en faisant mine de travailler pour Vichy, il dissimulait soigneusement des armes dans des caches soigneusement choisies, en attendant le jour J, sans se laisser fléchir par les demandes des autres résistants ou ses éventuels propres besoins. Il tenait bon, comme un roc, sur lequel s'effaçaient les hésitations, les disputes et les peurs. Quand il s'était engagé dans la résistance contre les Allemands puis contre Vichy, il savait qu'il n'y aurait pas de chemin qui lui permettrait de faire retour. Et comme la situation s'éternisait, il demeurait, à la tête de son réseau, indéboulonnable, inatteignable, patientant sans se laisser perturber par les événements. Cependant, en cet instant, devant un homme qui pleurait et qui le laissait totalement démuni, il sentit son calme lui manquer. Comment pouvait-on être aussi lâche ? Comment un homme digne de ce nom pouvait-il seulement se regarder dans le miroir quand son nom était associé aux pires atrocités, son honneur bafoué et ses mains tâchées de sang de personnes innocentes ? D'ailleurs, Diderot dont les yeux roulaient à droite et à gauche, n'osait pas les regarder en face, comme s'il avait peur de lire le reflet de sa propre lâcheté dans leur regard. Il fallait croire, cependant, que c'était là une attitude courante en France, sinon les résistants parcouraient les rues de ses villes par dizaines de milliers. Guillaume, qui avait été incapable de baisser la tête en attendant que les problèmes passent, le front souillé par la honte de l'armée française, avait du mal à comprendre cette attitude. Dénué de toute empathie, de toute compréhension, alors même que, paradoxalement, il parvenait à très vite cerner une personne quand il faisait sa connaissance, il ne parvenait pas à imaginer que tout le monde n'était pas fait de son étoffe – ou de celle des autres X comme Thibaud. Dans son esprit à lui, les héros n'existaient pas.

Parvenu au bout de sa patience, il avait donc préféré filer le problème à X3 qu'il connaissait assez pour savoir qu'il trépignait d'impatience à ses côtés pour agir à son tour. Thibaud Pelletier était un peu son opposé, mais c'était sans doute la raison pour laquelle ils s'entendaient si bien et se complétaient parfaitement. Le communiste ne prenait jamais de gants – même au sens littéral du terme, et souvent ses méthodes se révélaient particulièrement utiles. Il n'aimait pas beaucoup la parlotte (même si Guillaume trouvait qu'il aimait beaucoup l'ouvrir), aussi Diderot allait-il vite comprendre à qui il avait affaire. Masséna avait ses limites. Au moins, c'était le genre de travail à confier à Pelletier, davantage qu'à Irina ou à Joseph, le dernier répugnant à utiliser la violence envers les civils. Faire peur à un informateur, c'était tout à fait dans les cordes de l'ouvrier.
- Bon écoute, on va mettre deux trois choses au clair. L'itinéraire de Glucks, c'est pas notre problème. Donc ne nous mène pas en bateau, ok ? Si tu veux bien arrêter deux secondes de chouiner comme un gamin de huit ans, je t'expliquerai la situation.
Voir parler le type qui le maintenait collé au mur eut au moins pour effet de calmer Diderot quelques minutes, comme s'il craignait pire. Guillaume, qui avait reculé de quelques pas au moment où X3 avait pris le relais, observait le visage de son informateur avec grand intérêt, notant la mâchoire qui se crispait, un muscle qui se froissait, les dents qui claquaient encore à moitié. De la sueur perlait sur son front, alors qu'il tenait avec une force qui faisait blanchir les articulations de sa main sa petite mallette noire avec laquelle il rentrait chez lui. Il n'avait certainement l'allure du traître tel que Guillaume avait pu se l'imaginer. Dans les romans ou les films d'espionnage, le traître avait toujours une allure de fouine et pratiquait l'art du contrôle de soi avec une maîtrise qui faisait pâlir d'admiration. Diderot, lui, ne contrôlait rien, pas même ses propres membres qui tremblaient avec force.
- Vous croyez que c'est moi qui vous ai vendus ? Finit-il par demander d'un ton hésitant, c'est pas moi ! Je vous ai pas vendus ! Je vous promets ! Me faites pas de mal !
Non, ce n'était pas dans ce petit bonhomme un peu rond, lâche et ennuyeux qu'on pouvait penser à aller chercher un traître capable de vendre ses camarades de la résistance à des Allemands et de causer la mort de dizaines de personnes innocentes. D'ailleurs, il s'était mis à pleurer à nouveau, anéantissant tout espoir de Vial et tout le vague respect qu'il pouvait avoir pour son informateur.
- Arrête de pleurer ! Lui asséna Pelletier, sans vraiment être écouté, si c'est pas toi, qui alors ?

X3 lança un regard implorant à son chef, comme s'il se trouvait à nouveau démuni – ou comme s'il lui demandait l'autorisation de lui coller une claque, comme on l'aurait fait à un enfant capricieux. Seulement Vial craignait qu'user de la violence n'impressionnerait pas vraiment Diderot mais finirait par lui faire perdre tous ses nerfs. Or, ils avaient encore besoin de lui, ne serait-ce que pour leur parler, et surtout continuer à jouer son rôle à l'ambassade de Vichy par la suite.
- Je ne sais pas qui a pu..., poursuivait Diderot d'un ton plaintif, je vous jure, j'ai fait comme vous m'aviez dit, j'ai rien noté, j'ai rien dit à personne.
- Tu en es bien certain ? L'interrompit Guillaume, les bras croisés et l'air beaucoup moins aimable qu'au cours de la conversation précédente, tu as pu laisser échapper un renseignement, n'importe lequel, même sans t'en rendre compte.
- Mais non.. Je parle pas de moi à l'ambassade... Moi je veux juste que tout s'arrête, je veux plus continuer à cacher des choses...
- Cela suffit. Tu étais l'un des seuls à connaître nos plans et l'un des seuls à savoir qui serait intéressé par ces informations.
La voix de Vial qui avait claqué n'avait plus rien de compréhensive ou sympathique. Toutes ces jérémiades l'empêchaient de réfléchir clairement, et toutes ces dénégations entrecoupées de pleurnicheries ne lui disaient rien qui vaille. Les bras décroisés, les poings serrés, il s'appuyait désormais contre le mur où était adossé Diderot, comme s'il avait du mal à contrôler sa colère – ce qui n'était pas si éloigné de la vérité.
- Si tu es menacé, nous pouvons te protéger, Diderot, continua-t-il, de son ton ferme, toujours dans le souci d'attaquer l'informateur de manière différente, et de respecter (un peu) son rôle, mais tu dois nous en parler, car si nous tombons, crois-moi, tu tomberas avec nous. Les Boches ne font pas de cadeau...

Il allait ajouter qu'Honneur et Armée non plus, mais au même instant, des bruits de pas se firent à nouveau entendre dans la rue principale. Vial, qui n'avait pas cessé d'étudier les alentours, se tut et fut immédiatement sur le qui-vive, et constatant qu'une femme d'un certain âge, un sac de cabas passé autour du bras, tournait dans la ruelle sombre dans laquelle ils s'étaient réfugiés. Elle ne les regardait pas, les yeux tournés vers ses pieds et son sac lourd mais il était important de déguerpir avant qu'elles ne puissent voir leur visage. D'un bond, Guillaume se redressa puis fit le signe à Thibaud de se charger de Diderot qui faisait toujours autant de bruit.
- Bâillonne-le avec ta main, il ne faut pas qu'elle l'entende, lui lança-t-il à mi-voix, alors que Diderot roulait des yeux affolés.
D'un geste, il lui indiqua un immeuble dont la porte était ouverte, et ils y pénétrèrent avant même que la dame ne puisse lever la tête vers eux. Guillaume, qui était à l'arrière, prit bien soin de fermer la porte derrière lui, alors que Thibaud menait leur informateur devenu presque prisonnier, dans la cour de l'immeuble puis dans un petit local sombre qui sentait les poubelles, où il abandonna un Diderot à moitié suffoquant. Guillaume mit son index devant sa bouche pour bien lui indiquer de rester silencieux, tout en restant encore aux aguets. Mais c'était bien un silence pesant qu'il y avait autour d'eux. Ce fut un Vial courroucé qui considéra Diderot à ses pieds. Le petit fonctionnaire de l'hôtel Matignon avait bien failli leur causer beaucoup de tort, à force de parlementer pour ne rien dire. Ils avaient déjà passé trop de temps dans le coin, et chaque minute de plus était un danger supplémentaire. Tout ça pour quoi ? Pour zéro information qui pourrait leur permettre d'avancer. Sinon peut-être de savoir qu'un de leurs informateurs pouvait leur claquer entre les doigts parce qu'il était à bout de nerfs. Faisant quelques pas de la cour, Guillaume leva la tête vers les étages mais rien ne bougeait, tout comme vers la porte d'entrée : la dame qui approchait après avoir fait la queue devant les magasins devait heureusement habiter ailleurs dans la rue. D'un coup d’œil, il repéra un autre escalier et une sortie vers la rue derrière l'immeuble, par simple acquis de conscience, puis il se dirigea vers Thibaud qui veillait de près sur Diderot qui s'était relevé en tremblant en leur demandant ce qu'ils allaient faire de lui. Adressant un regard noir au lâche, il tira Pelletier vers la manche pour l'éloigner un peu, afin d'éviter que Diderot ne puisse les entendre :
- Qu'en penses-tu ? Demanda X1 à mi-voix, le crois-tu coupable ?
Dans la résistance, il n'y avait jamais le temps d'hésiter ou de reculer. Seulement voilà, Guillaume avait peut-être déjà fait un choix qui les avait tous mis en danger et en cet instant, il avait besoin d'un avis extérieur. Pas celui du communiste grande gueule qui proposait de tuer tous les possibles traîtres, mais celui de X3, de l'homme qui combattait les Nazis pour la France et les Français innocents. Il fallait prendre une décision et vite.
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MessageSujet: Re: [Aux alentours de l'ambassade] Sur les traces de Diderot   [Aux alentours de l'ambassade] Sur les traces de Diderot Icon_minitime1Mar 26 Jan - 10:55

Plus le temps passait, plus la patience de Thibaud s’effritait. Lentement mais sûrement, son calme atteignait sa limite. Et à voir la tête de Guillaume, il en était de même pour le chef d’Honneur et Armée. Guillaume n’était pas du genre à laisser transparaitre ses émotions. On aurait même pu croire qu’il était légèrement psychopathe, incapable de ressentir quoi que ce soit. Il avait cette capacité à garder un calme olympien, capacité qui faisait clairement défaut à Thibaud. Pourtant, à force de travailler avec Vial, l’ouvrier avait appris à lire entre les lignes. Et ce que cela disait, c’était que derrière son visage sans expression, l’officier perdait lui aussi patience. Ils étaient venus chercher des réponses, et repartir aussi vite afin de prendre les mesures nécessaires. Tout ce qu’ils avaient obtenu jusqu’à présent, c’était un fonctionnaire pleurnichard qui leur répétait la même chose en boucle. Ce n’était pas lui, il n’avait rien fait, il ne savait rien. Evidemment. Même si c’avait été lui, il n’aurait jamais avoué aussi facilement.
Alors Thibaud gardait le rôle du méchant résistant qui menace les gens, alors que Guillaume gardait le rôle de Masséna, le gentil qui comprenait la détresse de Diderot et ne voulait que son bien. Si le fonctionnaire avait su que sous cette carapace, il y avait X-1, l’impitoyable leader de Honneur et Armée, l’homme qui tombait sous tant d’accusations de crimes divers –dont certaines étaient bien avérées-, il se serait décomposé sur place. Heureusement pour tout le monde, Masséna était une couverture solide et Vial un acteur hors pair. Thibaud lui laissa le relais sur les questions subtiles, mais le gratte-papier continuait de nier en bloc. Ca en devenait fatiguant.
« Si tu es menacé, nous pouvons te protéger, Diderot »
Le protéger ? Pourquoi le protéger ? Les hommes comme lui ne méritaient pas une protection. Ils étaient à la solde de l’ennemi, prêts à dénoncer collègues et connaissances pour monter en grade, le cerveau embourbé de l’idéologie propagandiste des nazis et de Vichy. Thibaud ne voyait pas pourquoi Honneur et Armée irait s’embarrasser d’un homme comme Diderot. D’ailleurs, l’homme ne méritait même pas son pseudo. Il n’était ni courageux, ni éclairé, ni humaniste. C’était une honte ambulante.
Les choses se corsèrent lorsqu’une femme déboula dans l’allée. Thibaud jura entre ses dents ; ils mettaient beaucoup trop de temps à discuter avec cet abruti. Exécutant les ordres de Guillaume, il baillonna fermement le fonctionnaire, en faisant attention à ne pas l’étouffer –bien que ce ne soit pas l’envie qui manquait à cet instant- et ils s’engouffrèrent tous les trois dans une cour d’immeuble déserte. Heureusement pour eux, la plupart des Parisiens étaient bien trop occupés, en cette période, à se faire discrets et regarder leurs pieds pour voir ce qui pouvait se passer de suspect autour. Les gens préféraient ne rien voir, parce que pour l’occupant, voir c’était être impliqué, et la moindre implication dans la moindre activité louche menait souvent à un résultat dramatique. A peine l’homme fut-il libéré qu’il se remit à gémir. L’ouvrier leva les yeux ciel : avait-il donc une salive infinie quand il s’agissait de quémander son salut ? D’un autre côté, ils pourraient tout à fait le faire disparaitre, ici et maintenant, et ne laisser aucune trace. L’enquête durerait un temps, puis en l’absence de corps, elle serait vite abandonnée ; les policiers avaient beaucoup mieux à faire que de chercher un fonctionnaire de bas étage disparu. Et cela, Diderot le savait pertinemment.

Thibaud allait lui rétorquer quelque chose lorsque Guillaume lui saisit le bras et l’emmena à part.
« - Qu'en penses-tu ? Le crois-tu coupable ? »
Thibaud jeta un œil à Diderot, qui se tenait pantelant sur les pavés de la cour. Puis il soupira avant de se tourner vers Guillaume. Il savait que sa réponse pèserait dans la décision de son supérieur. Il savait aussi que s’il décidait de le déclarer coupable, Guillaume n’opérerait pas d’autre sentence que la mort. C’était un choix difficile à faire. Et pour aussi agaçant et minable que Diderot puisse être, Thibaud n’avait pas la conviction qu’il soit coupable de trahison. Ses tripes ne lui faisaient pas sentir cela. Il partagea donc son avis.
« Franchement, je ne crois pas qu’il nous ait vendu. Il n’a pas les nerfs pour ça. Et il aurait avoué depuis. Regarde-le, il est perdu. Je crois qu’il faut chercher le coupable ailleurs. »
Il jeta un nouveau coup d’œil à Diderot, qui regardait leur duo avec une once d’horreur dans les yeux.
« Par contre, on ne peut pas le laisser sortir du réseau. C’est trop dangereux. Il faut trouver un moyen de s’assurer qu’il ne nous dévoile pas. »
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Guillaume Vial
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MessageSujet: Re: [Aux alentours de l'ambassade] Sur les traces de Diderot   [Aux alentours de l'ambassade] Sur les traces de Diderot Icon_minitime1Dim 29 Mai - 19:50

Ils avaient eu chaud. A quelques minutes près, une simple passante aurait pu les voir en train de menacer un fonctionnaire du gouvernement de Vichy, aurait sans doute aperçu les traits de leur visage et la couleur de leurs cheveux, assez en tout cas pour les décrire précisément si on venait lui poser des questions. Il était parfois étrange de penser que leur survie ne dépendait que de très peu de choses : une bonne réaction au bon moment, dès que l'on entendait un bruit de pas suspect, une Parisienne qui n'a pas envie d'en savoir davantage ou qui se tait. Un hasard, un coup de chance, un regard détourné. De quelque chose que l'on ne pouvait ni prévoir ni maîtriser. L'on avait beau se prémunir des surprises, prévoir un plan parfait à la minute près, l'on n'était jamais à l'abri d'une erreur qui pouvait être fatale. Il fallait alors faire confiance à l'inconnu tout juste croisé dans le métro, se fier à une ruelle sombre en espérant qu'elle ne soit pas un cul-de-sac et simplement espérer. Guillaume Vial, évidemment, détestait cela. Il ne voulait pas avoir à compter sur la chance, parce que cette dernière finissait toujours par tourner. Seuls les instants de désespoir, de perte totale de contrôle de la situation pouvaient les amener à parier leur survie sur un hasard ou un regard détourné. Un instant où il n'était pas maître du temps qui s'écoulait, des actions des uns et des autres, où tout lui échappait. Tant et si bien qu'une bombe soigneusement prévue pour un officier allemand finissait par exploser dans une foule de gens innocents.

A trop rester ici, dans le refuge que leur avait offert la cour de l'immeuble, cependant, ils prenaient des risques énormes. Vial avait bien conscience qu'ils s'étaient beaucoup trop éternisés à discuter avec Diderot qui suait toujours abondamment près du local des poubelles. Une bonne opération était celle qui frappait comme l'éclair, laissant l'ennemi pantelant, encore abasourdi et ne parvenant pas à reprendre ses esprits. Au lieu de cela, ils avaient passé de longues minutes à menacer le petit fonctionnaire qui n'avait lâché aucune information digne d'intérêt. Combien de temps avaient-ils encore devant eux avant qu'un des habitants des étages supérieurs de l'immeuble ne rentre dans cette cour – ou se contente de jeter un coup d’œil à travers les rideaux de sa fenêtre ? Pouvaient-ils présumer que cette personne ne se précipiterait pas sur son téléphone pour les dénoncer ? Qu'elle n'étudierait pas chacun de leurs traits de visage, chacun de leurs traits distinctifs qui permettraient à la police de faire un portrait détaillé de deux X d'Honneur et Armée ? Une chose était certaine : il était grand temps de mettre un terme à cette rencontre, pour que Thibaud et Guillaume puissent regagner l'ombre qu'ils ne devraient pas avoir à quitter. Pour cela, il fallait prendre une décision. Et vite.
- Franchement, je ne crois pas qu'il nous ait vendu. Il n'a pas les nerfs pour ça. Et il aurait avoué depuis. Regarde-le, il est perdu. Je crois qu'il faut chercher le coupable ailleurs.
La sentence avait été assénée par Thibaud Pelletier, d'une voix calme et égale qui contrastait avec la crispation de son visage tourné vers leur informateur de l'ambassade de Vichy. Elle était étrangement mesurée et clémente de la part d'un homme qui avait parfois tendance à se laisser déborder par ses passions et qui lui avait réclamé sa part du sang lors de leurs discussions à propos du possible traître de leur réseau.
- Par contre, on ne peut pas le laisser sortir du réseau. C'est trop dangereux. Il faut trouver un moyen de s'assurer qu'il ne nous dévoile pas.
Guillaume hocha la tête, sans dire mot. Épargner Diderot. Non coupable. Ce n'était pas là une décision à prendre à la légère. Il savait quelle responsabilité lui incombait, et surtout quelle erreur il pouvait s'apprêter à commettre : mettre fin à la vie d'un possible innocent ou laisser en vie un possible coupable qui pouvait bien être le doigt qui ferait valser le château de cartes de leur réseau. Il avait beau demander son avis à Thibaud, il savait bien qu'il serait seul à assumer les conséquences de ses choix et que sa conscience, dans l'un ou l'autre cas, ne le laisserait jamais en paix, à la seule condition qu'il ne soit pas arrêté à son tour. C'était bien ce qu'ils ne comprenaient pas tous ce hommes venus de Londres ou de l'ombre, des sortes de roitelets sans envergure, qui voulaient juste grignoter assez de pouvoir pour être en position de force au moment où les Allemands quitteraient le terrain en laissant une France exsangue, aux places inoccupées. Ils voulaient peut-être lancer la Révolution, gagner les premiers postes d'une République qui n'avait pas besoin d'eux, et en attendant, ils se battaient dans des débats stériles dans lesquels rien n'avançait. Aucun d'entre eux ne comprenait réellement ce qu'impliquait leur situation. On avait beau se réfugier derrière des barrières de pseudonymes, connaître le moins possible les courriers et les intermédiaires, quand il y avait des arrestations, c'était de votre faute, de votre unique responsabilité.

Néanmoins, si Guillaume, dans le feu de l'action, avait parfois l'impression de perdre de vue les objectifs qu'il s'était fixés, les raisons pour lesquelles il se levait chaque matin et supportait la situation inique dans laquelle il se trouvait, il avait bien conscience d'une chose : il ne fallait pas se perdre totalement dans la bataille. La résistance ne pouvait pas arriver aux extrémités allemandes, sinon c'était toute son âme qui s'écroulait, en même temps qu'elle assassinait et torturait. Si, en certaines occasions, le lieutenant-colonel parvenait à justifier les moyens qu'il employait pour atteindre ses résultats, en l'occurrence, il ne voyait pas l'intérêt de se débarrasser de Diderot. Combien même cela aurait été si facile dans cette cour d'immeuble sans témoin. Le fonctionnaire était dans un tel état qu'il se serait sans doute écroulé sans un cri. Mais s'il n'avait pas été repéré par les Allemands à son travail, mieux valait encore le laisser en vie. Et pour être un peu moins cynique, Vial n'avait aucune envie de prendre une vie de manière aussi gratuite. Sa décision était désormais prise, il en assumerait les conséquences.
- Laissons-le partir, alors, lança-t-il à mi-voix à Pelletier, non sans avoir jeté un coup d’œil au fonctionnaire affolé qui roulait des yeux dans leur direction, je partage ton avis. Il n'a pas l'attitude d'un traître et si les Allemands avaient réussi à le faire craquer, je ne pense pas pourquoi il aurait davantage résisté devant nous.
Il fallait maintenant filer le plus vite possible, avant qu'ils ne regrettent leur décision devant une énième pleurnicherie de leur homme. De plus, Vial ne tenait pas particulièrement à savoir quand les habitants de l'immeuble finiraient par rentrer chez eux.
- Il ne peut pas quitter le réseau en effet. C'est dangereux et il nous est bien trop précieux à l'ambassade de Vichy. Je vais lui dire deux mots en espérant le calmer, puis je vais le surveiller de loin en le laissant tranquille pendant quelques semaines. Au pire... Je peux aussi lui proposer de l'argent, termina-t-il en grimaçant, car il savait que Thibaud, comme lui, n'accordait pas beaucoup d'estime à ceux qui donnaient des informations contre de l'argent, ne serait-ce qu'il suffisait de les payer davantage pour les retourner, il n'a pas l'étoffe des héros, mais il voudra peut-être bien améliorer son ordinaire.
Honneur et Armée ne roulait pas forcément sur l'or, surtout que l'argent censé être parfois envoyé de Londres arrivait beaucoup moins vite que les instructions de la BBC et que Vial se refusait à commercer les armes qu'ils avaient pourtant en nombre pour les conserver en vue de la Libération et éviter de transformer les rues de Paris en western américain, mais le réseau gardait des petites sommes pour ce genre de situation. Il fallait toujours parer au plus pressé, et les liquidités pouvaient être utiles, même pour rassurer un informateur un peu inquiet pour sa destinée immédiate.

On avait assez parlé. Guillaume se détourna brusquement de son allié pour s'avancer vers Diderot d'un pas ferme. Ce dernier, qui n'avait même pas cherché à se redresser du sol où il s'était laissé tomber, sursauta brusquement en voyant que l'attention se portait de nouveau sur lui.
- S'il vous plaît, s'il vous plaît... Je ne dirai rien à personne.
- Oh pitié, marmonna le lieutenant-colonel qui avait plus envie de lui tenir le col que de jouer au gentil résistant compréhensif, faites-le donc taire.
Il allait demander à Thibaud qui le suivait comme son ombre, non sans garder l’œil sur les entrées et les sorties de l'immeuble sans nul doute, quand Diderot se mit à parler d'une voix basse et saccadée :
- Je vous ai toujours été fidèle, je vous le jure... D'ailleurs, j'ai les renseignements que vous m'aviez demandé il y a quelques mois, j'ai enfin trouvé  la véritable identité de la femme rousse que vous m'avez décrite, la résistante Ian...
Guillaume, surpris du revirement de Diderot qui essuyait les gouttes de sueur de son front et les pleurs de ses yeux, s'interrompit dans son geste. Son informateur dut croire qu'il avait un sursis car il poursuivit du même ton :
- On connaît l'identité de Ian, elle s'appelle Elsa Meyer, elle est israélite. Son père a été prisonnier de guerre en 40, il a disparu des papiers officiels, et sa mère et sa sœur, elles ont été arrêtées par les Boches à leur arrivée à Paris... Je n'en sais pas plus, je ne sais pas pourquoi ils avaient une telle importance pour les Allemands.
Brusquement intéressé, Guillaume se retourna vivement vers Thibaud pour lui lancer d'une voix ironique :
- J'ai l'impression que la demoiselle s'est bien moqué de toi...


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MessageSujet: Re: [Aux alentours de l'ambassade] Sur les traces de Diderot   [Aux alentours de l'ambassade] Sur les traces de Diderot Icon_minitime1Ven 28 Oct - 22:06

« Laissons-le partir, alors »
Thibaud hocha la tête, mais grommela intérieurement. Tout ça pour rien. Encore une piste qui se refroidissait comme un cadavre. Au fond, il aurait aimé que Diderot soit le traitre. Ils auraient enfin eu des réponses. Mais là, ils devraient attendre, encore, et chercher, encore. Combien de fausses pistes ? Arriveraient-ils seulement un jour à trouver ce qu’ils cherchaient ?
« Je vais lui dire deux mots en espérant le calmer, puis je vais le surveiller de loin en le laissant tranquille pendant quelques semaines. Au pire... Je peux aussi lui proposer de l'argent »
L’ouvrir eut un petit sourire. Ni Guillaume, ni lui n’étaient très attachés à l’argent. Thibaud, en bon communiste qu’il était, méprisait même ceux qui cherchaient l’argent dans leur vie. Il y avait de meilleures illusions à poursuivre. L’argent était infantilisant et aliénant. Mais un fonctionnaire comme celui qui tremblait de peur à côté d’eux, lui, il devait bien courir après l’argent. Alors oui, ça pourrait fonctionner. Ou pas. Le souci avec ceux qui veulent de l’argent, c’est qu’une fois qu’on leur en propose, ils reviennent en chercher plus, et on entre dans une spirale sans fin. Les menaces fonctionneraient peut-être mieux, mais Thibaud n’était pas sûr que les menaces d’Honneur et Armée puissent être plus effrayantes que celles que les allemands pourraient bien proférer envers Diderot. Bref, l’argent semblait une option acceptable, et Guillaume avait visiblement pris sa décision. Ils s’en retournèrent donc voir le fonctionnaire, qui gémissait et pleurait et tremblait. Thibaud était étonné qu’il n’ait pas encore fait dans son froc. Ce n’était peut-être qu’une question de secondes. Autant qu’ils s’en aillent avant ce genre d’épisode malencontreux.

« D'ailleurs, j'ai les renseignements que vous m'aviez demandé il y a quelques mois, j'ai enfin trouvé  la véritable identité de la femme rousse que vous m'avez décrite, la résistante Ian. »
Bordel, il n’aurait pas pu le dire tout de suite, au lieu de balancer ses jérémiades ? Thibaud se redressa d’un coup, bien intéressé par ce que Diderot avait à dire à présent. Et ses révélations furent, en effet, fort intéressantes. Lorsqu’il prononça le nom d’Elsa Meyer, l’ouvrier jura en russe. La petite rousse l’avait mené en bateau, ce que ne manqua pas de lui faire remarquer Guillaume. Il devait trouver ça bien amusant. Thibaud beaucoup moins. Se faire avoir par une gamine. Etait-il rouillé à ce point ? Il leva les yeux vers Diderot.
« File maintenant. Tu parles, je te retrouve et je te tue. Compris ? »
Un nouveau gémissement, et Diderot prit ses jambes à son cou. Au moins, ils n’auraient plus à l’entendre. Dieu merci. Le jeune homme se tourna vers son supérieur, l’air soucieux. Un peu en colère. Un peu honteux aussi, de s’être fait berner de la sorte.
« Bon, on peut dire que j’ai été un piètre espion. Donc, qu’est-ce qu’on fait, pour la gamine Meyer ? On va lui demander des explications ? »
Ca le démangeait, il fallait l’avouer. Il aimerait bien lui dire deux mots et lui signaler qu’on ne se moque pas comme ça d’un Pelletier. Mais Guillaume avait peut-être d’autres plans. Thibaud jura à nouveau. Les choses devenaient de plus en plus compliqué, décidément. Chaque fois qu’ils cherchaient une réponse, ils soulevaient d’autres questions. Un vrai sac de nœud qui ne plaisait pas trop au gaillard.
« Bon sang, une gamine à la tête de la Brigade ? Elle doit avoir des ressources, c’est pas possible. Une juive en plus. Tu m’étonnes qu’elle en veuille aux allemands. »
Lui-même n’aimait pas les allemands. Par principe, de liberté, d’égalité, de ne pas tuer les gens, tout ça. Mais elle, ça devait être bien différent. Elle y avait perdu sa famille. Thibaud avait juste perdu le droit de s’affirmer communiste. Il ne pouvait pas s’imaginer ce que la petite Meyer pouvait ressentir. Peut-être que cela lui avait donné assez de force pour monter et gérer un réseau souterrain. Si on lui enlevait son frère et sa mère, Thibaud trouverait-il cette force ? Pas sûr. Il était déjà assez en colère comme ça, il s’écroulerait juste sous le poids de la rage, probablement. Pour ça qu’il n’était pas leader et ne le serait jamais. Pour ça que des mecs comme Guillaume l’étaient.
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