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 Café concert

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Eulalie Vernier
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Un opéra : histoire où un baryton fait tout pour empêcher un ténor de coucher avec la soprano.
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MessageSujet: Café concert   Café concert Icon_minitime1Jeu 8 Juin - 14:01

C’était un dimanche de Juin. Eulalie avait passé la journée à répéter chez elle. Elle essayait de ne pas penser à ce qui se disait concernant les fronts étrangers. Elle ne voulait pas se faire d’illusions concernant l’arrivée potentielle des troupes alliées. Et surtout, elle ne voulait pas penser à Hasko, le bel officier fuyant qui semblait vouloir la combler d’attentions un instant et l’oublier presque ensuite. Eulalie avait peur, peur de s’attacher aux mauvaises personnes en ce temps de guerre. Mais elle avait également peur de la solitude. Ce climat de tension qui restait en sourdine malgré les événements organisés par l’occupation avait le don de miner le moral de la cantatrice. Elle s’inquiétait pour tout le monde, elle craignait les rencontres de ces derniers mois. Beaucoup d’hommes mystérieux ou inquiétants avaient croisé son chemin, comme le fils Andrieu ou Edouard Cabanel, l’ambassadeur de Vichy. Peut-être qu’un jour ils se retourneraient contre elle… Il lui faudrait être plus prudente.

Rageusement, la jeune femme plaqua ses mains sur son piano. Elle ne tenait plus en place, elle avait besoin de prendre l’air. En moins de temps qu’il n’en fallut pour le dire, elle quitta ses vêtements d’intérieur pour un tailleur en coton rose pâle, boucla rapidement ses cheveux, enfila un petit chapeau et des escarpins et sortit en s’assurant d’avoir, cette fois-ci, emporté ses papiers.
Elle marcha un moment dans les rues de Paris, sans savoir où aller véritablement. Elle déambula, détaillant les façades des immeubles qui lui plaisaient, s’arrêtant tantôt pour jouer avec un animal, tantôt pour regarder des enfants faire les idiots dans la rue.
Avaient-ils seulement conscience de l’occupation ? A les voir agir, elle avait presque l’impression qu’ils vivaient une enfance normale. Ils riaient, pleuraient, aimaient leurs parents malgré le climat de peux qui les entourait. L’innocence, résistait toujours à l’oppression.

Cette pensée fit sourire la jeune femme alors qu’elle déambulait. Elle marcha encore longtemps, une heure, peut-être deux. Elle traversa l’île de la cité sous le ciel dégagé et finit par arriver proche du Panthéon.
Tout en réalisant qu’elle commençait à avoir soif et mal au pieds, la jeune femme avisa alors un petit estancot. Les odeurs d’erzatz de café lui montèrent aux narines et réveillèrent en elle une subite envie de boisson chaude. Un joyeux brouhaha semblait émaner de l’endroit et les accents nasillards d’un accordéon ponctuaient l’ensemble. Des tablées d’hommes et de femmes, installés en terrasses, riaient et buvaient comme si de rien n’était. Replaçant une mèche de ses cheveux blonds-roux derrière ses oreilles, la jeune femme avisa une petite table ronde encore inoccupée. Délicatement, elle s’installa sur la chaise en prenant garde à ne pas y coincer sa jupe et attendit qu’un serveur vienne la voir.

Cela ne traîna pas, d’ailleurs. Un homme plutôt grand, la solide trentaine, vint rapidement dans sa direction. Eulalie le trouva beau quoiqu’un rien trop vieux selon ses goûts. Avec un sourire aimable, elle prit quelques secondes pour réfléchir, tapotant discrètement la table de ses doigts fins.

- Je vous prendrais un café ou une tisane ou quoi que ce soit qui y ressemble de près ou de loin. Et un verre d’eau fraîche également, s’il vous plaît.

Elle avait beaucoup marché et elle sentait que la seule boisson chaude n’étancherait pas sa soif. Elle laissa l’homme repartir et ferma un instant les yeux, profitant de la caresse du soleil sur sa peau et de la musique de l’accordéoniste.
Il jouait des petits airs de bal musette qu’un groupe de personnes âgées semblaient bien connaître. Assis avec leurs tasses, ils chantaient de bon cœur et riaient au souvenir de leurs aventures de jeunesses. C’était un spectacle des plus attendrissant. Eulalie pensa qu’elle aurait bien aimé pouvoir partager quelques mots avec quelqu’un à l’heure actuelle. Elle se sentait désespérément seule. Guillaume et Béatrice étaient souvent occupés, son oncle ne sortait presque plus de l’hôpital tant il y avait de travail et sa tante était accaparée par les œuvres caritatives auxquelles elle participait. Cela réduisait d’autant le nombre de personnes de confiance auprès desquelles elle aurait pu partager un moment comme celui-ci.
Perdue dans ses pensées, elle sursauta lorsque le serveur revint avec sa commande. Avec un sourire d’excuse, elle sortit son porte-monnaie de son sac.

- Excusez-moi, j’étais ailleurs. Combien vous dois-je ?

Elle régla ce qu’elle devait et se rencogna dans son siège en avalant d’un trait son verre d’eau. Elle ferma les yeux, savourant l’instant où le liquide frais descendit dans sa gorge. Une fois désaltérée, elle saisit doucement la tasse chaude et huma le parfum de la boisson. Evidemment, on était très loin des saveurs rondes et chaudes qui embaumaient l’air avant la guerre, mais même cet ersatz trouvait le moyen de lui mettre du baume au cœur. Pendant ce temps, l’accordéoniste avait entamé les accords lents et chaloupés de La Vie en Rose. Eulalie aimait bien cette chanson. Elle admirait la Môme d’une certaine façon. Elle avait une liberté, un esprit légèrement gouailleur, une décontraction populaire qu’elle ne pourrait jamais avoir. La cantatrice savait que l’opéra l’avait formatée dans un registre réservé à une élite et cela la rendait triste, d’une certaine façon. Elle aurait aimé chanter pour tout le monde, emmener la musique à ceux qui ne pouvaient pas aller vers elle.
Sans qu’elle s’en rende compte, elle tapota le rythme discrètement avec son pied, tout en fredonnant.

- Quand il me prends dans ses bras, qu’il me parle tout bas, je vois la vie en rose…

Elle riait presque de voir tous ces gens chanter, faux mais avec entrain. Quelques couples s’étaient mis à danser et réclamèrent bien vite d’autres chansons. Ce fut à ce moment là que l’accordéoniste, un homme bedonnant à la face rouge et au sourire joyeux, s’approcha d’elle.

- Eh vous mam’zelle ! Vous m’avez l’air d’aimer chanter, j’vous vois depuis tout à l’heure ! Ça vous dirait de pousser la chansonnette avec nouzaut’ ?

Eulalie, surprise, ne put s’empêcher de rougir. Elle ne s’attendait pas à ce qu’on lui demande de participer aux réjouissances… Même si son esprit lui hurlait d’accepter, son éducation lui soufflait de refuser afin d’éviter que la jeune fille convenable qu’elle était ne se donne en spectacle.

- Je suis désolée monsieur… Ce ne serait pas convenable…

L’homme partit d’un grand rire et attrapa sa main avec une certaine douceur. Ses yeux pétillaient de malice alors qu’il prenait une voix de stentor.

- Allons ! Remballez donc votre pudeur de gazelle ! Ça se voit dans vos yeux que vous aimez chanter ! Allez, venez !

Avant qu’elle ait eu le temps de résister, la jeune fille fut entraînée par l’accordéoniste et ses comparses, qui dégagèrent leur table pour la faire monter dessus. Eulalie riait, un peu nerveusement certes, et regarda cette assemblée en rougissant. Elle croisa le regard empressant de l’homme qui l’avait envoyée dans ce pétrin et soupira. De toute façon aucun des membres de l’Opéra ne la regardait… Elle pouvait bien se laisser aller ! Un peu hésitante, elle se pencha vers l’accordéoniste et lui chuchota quelques mots.

- Vous connaissez l’Amant de Saint-Jean ?

Le gros bonhomme rit de plus belle et entama les accords avec un air théâtral, donnant un rythme appuyé à la jeune femme. Déjà, quelques couples s’étaient remis à valser. Sa voix claire, maîtrisée et tremblante de juste ce qu’il fallait d’émotion, transperça l’espace.

- Je ne sais pourquoi j’allais danser… À Saint Jean, aux musettes… Mais il m’a suffit d’un seul baiser pour que mon cœur soit prisonnier !

La jeune femme souriait et se laissait emporter. Elle avait un petit côté théâtral typique des opérettes, s’adressant tantôt à la foule, tantôt à un individu dont son regard croisait le sien.

- Comment ne pas perdre la tête, serrée par des bras audacieux ? Car l’on croit toujours aux doux mots d’amour, quand ils sont dit avec les yeux !

Eulalie réalisait que cette chanson lui rappelait Hasko. Elle aussi avait cru à son affection, elle avait cherché des excuses à son absence mais elle avait fini par penser qu’il s’était lassé d’elle et s’était retirée dans son chagrin. Elle enchaîna sur le couplet suivant sans se départir de son sourire, toujours accompagnée de l’accordéoniste. Le petit café avait pris des airs de bal populaire. On se serait cru à Montmartre, dans le Moulin de la Galette, à la grande époque de Renoir. La jeune femme se rendit compte qu’elle avait tant aimé chanter qu’elle n’avait pas réalisé qu’elle était déjà au bout du morceau. Les bons moments étaient toujours les plus fugaces…

- Moi qui l’aimait tant, mon bel amour mon amant de Saint-Jean ! Il ne m’aime plus c’est du passé, n’en parlons plus…

Alors que la foule applaudissait, la jeune femme esquissa une demi révérence avant de tenter de redescendre de la table, rougissante. Elle se demandait si les gens avaient senti qu’elle était une professionnelle. Elle se demandait s’ils avaient apprécié sa voix davantage que les officiers allemands qui venaient à l’opéra. Maladroitement, tout en essayant de maintenir sa jupe, elle essaya de regagner le sol alors que l’accordéoniste entonnait un autre air de valse.
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Peter Rosewood
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MessageSujet: Re: Café concert   Café concert Icon_minitime1Dim 2 Juil - 11:45

Il parait qu'à chaque jour suffit sa peine. Voilà un adage dont j'ai bien du mal à comprendre les tenants et les aboutissants. Et pourtant, j'essaie, chaque matin. De me lever et de faire autre chose que de songer à cette vengeance qui vrille mes entrailles, qui a envahi mon esprit et qui me dévore un peu plus à chaque instant. J'essaie de faire croire que je voue mon existence à autre chose, que j'arrive à jouer le jeu et que même, parfois, je vis un peu. Oh, bien évidemment, je pourrais me trouver nombre d'excuses. Après tout, nous sommes en guerre, je suis dans la résistance et il serait malvenu de profiter du moment présent, de vivre comme si l'avenir pouvait être radieux. Mais je sais pertinemment que si un jour nous sortons de tout cela, et si je suis en vie, je n'irais pas mieux. Parce que je ne peux pas aller mieux. Je suis allé bien trop loin, j'ai vu trop de choses, vécu trop de drames pour pouvoir croire que je pourrais survivre réellement à cette guerre. Et pour croire que je pourrais vraiment retrouver celui que j'ai pu être il y a longtemps, celui qui a été heureux fut un temps.

Et pourtant, quand je suis plongé dans l'ambiance du café, quand je me glisse dans la peau de Lucas, j'arrive presque, l'espace d'un instant, à oublier qui je suis vraiment, à laisser de côté, même brièvement, tout ce qui ne cesse de tourner en boucle dans mon esprit. Je retrouve ce Paris que j'ai tant aimé, que l'on pourrait presque croire mort, écrasé par le joug de l'envahisseur, mais qui continue de tenir bon tant bien que mal. Malgré tout ce qui a pu lui arriver, cette ville garde son identité et si le feu semble éteint, il reste encore des braises qui n'attendent qu'un coup de vent pour être ravivées. Ces braises, on peut les voir dans le brouhaha bruyant des clients du café, fort heureusement vide de soldats aujourd'hui. On peut les voir dans le regard des parisiens qui, même fugacement, se replongent dans l'atmosphère d'avant-guerre. Ils s'apostrophent, ils rient, ils se bousculent. Comme si leur monde n'avait pas basculé dans la noirceur. C'est ce que j'aime dans ce métier, dans ce qui était supposé n'être qu'une couverture pour ne pas me retrouver errant dans les rues sans avoir de quoi justifier ma présence ici. Je pourrais pragmatiquement dire que cela m'aide également à obtenir des informations, ce qui est vrai. Les rumeurs s'insinuent souvent dans le café et, la plupart du temps, elles ont un fond de vérité suffisamment important pour que l'on s'y intéresse. Il arrive aussi souvent que les allemands viennent boire un verre ici. Paris est à eux après tout. Alors j'observe, j'écoute. Quoi de plus discret qu'un garçon de café dont on oublie la présence presque aussi vite qu'on lui a parlé ? Mais il y a plus, bien plus. Ce travail m'aide à me rappeler. A me rappeler de cette ville que j'aime plus que tout, qui saigne mais qui est toujours en vie. A me rappeler qu'il est possible encore d'y croire pour certains d'entre nous, même si la vengeance m'aide à tenir encore plus que le reste. Surtout un jour comme celui-là.

J'ai déjà vu cette jeune femme, à plusieurs reprises. Elle est déjà entrée dans le café, sans me prêter attention, probablement perdue dans ses pensées comme aujourd'hui. Elle est charmante, plus que charmante même et attire souvent le regard, sans même qu'elle en ait réellement conscience visiblement. Comme à mon habitude, je lui adresse un sourire poli, laissant filer, d'un ton léger. "Au vu de l'ersatz de café que nous avons réussi à avoir cette semaine, je vous conseille fortement de privilégier la tisane. Et un verre d'eau ? Je vous apporte ça tout de suite." Pour un peu, je serais presque persuadé quelle ne m'a même pas vraiment écouté. Je ne vais pas m'en offusquer, je fais ce qu'il faut pour être aussi discret que possible, je ne vais pas m'en plaindre lorsque cela fonctionne non ? Je prends d'autres commandes autour d'elle et je finis de faire ma petite tournée, déposant un verre et une tasse devant elle, mon sourire se faisant plus amusé en voyant qu'elle est vraiment ailleurs. J'attrape les pièces qu'elle me tend et je hoche brièvement la tête, la laissant se replonger dans ses pensées et m'adossant au comptoir, regardant autour de moi avec une certaine curiosité. J'arque un sourcil quand certains commencent à changer, jetant un coup d'œil à la devanture. Pas d'uniforme, c'est plutôt une bonne chose. Ils n'aiment pas les excès de bonne humeur, de joie de vivre et j'en passe. Ils préfèrent probablement que nous courbions l'échine et que nous nous effacions pour de bon, pour leur laisser toute la place. Mais ça ne fonctionne pas comme ça. Je cille quand j'entends une douce voix qui contraste avec les mauvaises notes enthousiastes de nos habitués et mon regard se pose sur la jeune femme. C'est elle qui chante comme ça. Je ne me rends même pas compte que certains se sont mis à danser et que je devrais calmer le jeu pour éviter de nous faire remarquer tant je suis comme hypnotisé par sa voix. Et je sursaute quand je vois Pierre s'approcher d'elle, son accordéon appuyé sur son ventre rebondi et lui parler. Evidemment, il aurait été stupide de croire que j'aurais été le seul à l'entendre. Je ne peux m'empêcher de sourire en voyant le rose colorer ses joues et en voyant Pierre l'entrainer avec lui. Il s'est toujours vanter d'être capable de convaincre n'importe qui, preuve en est qu'il a raison. Je suppose que nous allons l'entendre souvent dans les jours à venir mais, pour l'heure, je vois tous les gens autour de moi s'arrêter de parler, le regard posé sur la jeune femme alors que Pierre entonne la chanson qu'elle lui a demandé. Et je vois les couples commencer à danser tout autour d'elle, le café étant brusquement replongé dans une atmosphère qu'il n'a pas connu depuis bien longtemps. J'ai l'impression d'être comme dans un rêve alors que, parfois, son regard croise le mien, tout comme il croise celui des autres. Et je finis par fermer les yeux, me laissant, comme la plupart des gens présents, porter par la musique. Mais cet oubli ne dure pas, il se fait bien trop fugace et s'arrête avec la chanson, sous les applaudissements qui résonnent dans le café tandis qu'elle fait une petite révérence. Alors que Pierre entonne un nouveau morceau, faisant fi de toutes les consignes de sécurité que nous passons notre temps à lui seriner, je vois que la demoiselle semble avoir quelques difficultés à descendre de son piédestal.

Alors je m'approche et je lui tend la main pour l'aider et éviter qu'elle se retrouve dans une situation délicate, avant de la conduire jusqu'à la table qu'elle avait occupée et de lui ramener un nouveau verre d'eau. Et je laisse filer, à mi-voix, la fixant toujours avec une pointe de rêverie que je n'avais plus eue depuis bien longtemps déjà. "C'était tout bonnement magique mademoiselle. Je crois que vous avez réussi à faire oublier leur quotidien à bien des gens ici présents." Un peu trop d'ailleurs soit dit en passant, ils continuaient de plus belle, comme si nous n'avions pas de règles à respecter. A ce rythme-là, nous n'allons pas tarder à avoir des problèmes. J'ai un bref soupir avant de reprendre, d'un ton plus léger. "Rassurez-moi et dites-moi que vous êtes une professionnelle du chant, que vous êtes une vraie artiste. Cela décomplexera notre cher ami qui n'osera probablement plus jamais chanter tant que vous serez là." Au vu de sa mine enjouée, difficile de le croire mais, sait-on jamais, que Pierre finisse par réaliser qu'il n'a pas vraiment l'étoffe d'un chanteur, quand bien même il joue de l'accordéon comme personne. Je réalise alors que ma présence peut lui sembler déplacée, qu'elle peut vouloir être tranquille après son petit numéro. Mais difficile de détourner les yeux après ce que je viens de voir alors que, pour une fois, je n'ai pas à faire semblant de sourire.


Dernière édition par Peter Rosewood le Sam 19 Aoû - 22:13, édité 2 fois
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MessageSujet: Re: Café concert   Café concert Icon_minitime1Mar 18 Juil - 14:50

Eulalie avait saisi avec un air réellement reconnaissant la main du serveur qui l'avait aidée à descendre de la table. Un peu confuse, elle replaça une mèche de ses cheveux blond-roux derrière son oreille et lissa sa jupe en dédiant un sourire à l'homme. C'était celui qui avait pris sa commande, elle le reconnaissait. Il était d'un âge bien plus mûr que le sien mais il dégageait quelque chose de très séduisant et protecteur. Son compliment la fit sincèrement sourire. Elle préférait mille fois apprendre qu'elle avait pu alléger la peine des gens, plutôt que se faire entendre dire qu'elle avait une voix proche de la perfection. D'un oeil, elle regarda les hommes et les femmes qui valsaient et ses joues rosirent une nouvelle fois.

- Je vous remercie Monsieur ! Rien ne m'aurait fait plus plaisir. J'aime ce pouvoir de la musique... Alléger les peines et donner du regain aux esprits.

Elle saisit avec délicatesse le nouveau verre d'eau qu'il lui avait ramené et le remercia d'un signe de tête élégant avant de le boire presque d'une traite. La chaleur et le chant asséchaient vite la gorge. La question de l'homme la fit sourire et son regard sembla vague, l'espace d'un instant, alors qu'elle se remémorait ses soirées à l'Opéra, avant la guerre. Puis elle posa les yeux sur le joyeux drille à l'accordéon qui continuait d'amuser la galerie avec sa gouaille qui lui semblait coutumière. Un léger rire franchit les lèvres de Lalie et ses pétillants yeux verts revinrent s'accrocher à ceux de son interlocuteur.

- Oh ! Oui, vous pouvez être rassuré, je suis chanteuse de profession. Je suis soprano à l'Opéra de Paris. Il est peu probable que vous m'ayez vue en tête d'affiche, je n'ai encore que des rôles de seconda donna.

La jeune femme réalisa alors qu'elle ne s'était pas encore présentée, manquant à tous les devoirs de politesse. Délicatement, elle inclina la tête et tendit sa main, pour pouvoir serrer celle de celui qu'elle venait de rencontrer.

- Je m'appelle Eulalie Vernier. Ravie de faire votre connaissance, monsieur... ?

Elle laissa sa question en suspens, un peu confuse. Lorsqu'il se présenta à son tour, le moment de gêne se transforma en nouvel éclat de rire, au son de l'accordéon. La jeune cantatrice réalisa que le serveur se tenait encore debout alors qu'elle était assise à sa table. Aimablement, elle désigna d'un geste la chaise qui se trouvait près d'elle.

- S'il vous est possible de rester, installez vous donc ! Vous n'allez pas rester ici comme un piquet tout de même !

La jeune femme regardait les danseurs avec un air un peu mélancolique. Elle se rappelait de l'époque où les bals populaires n'étaient pas encore interdits par Vichy. L'époque où elle s'évadait après les cours pour chanter et danser, puis revenir sur la pointe des pieds. Elle aurait aimé naître plus tôt pour profiter davantage du Paris inoccupé. La chanteuse, au fond, n'avait pu vivre que la fin de son adolescence dans l'effervescente capitale, à cette période de la vie où l'on est en âge d'avoir envie de s'amuser comme les plus vieux, sans en avoir la maturité.

- On se croirait presque hors du temps, vous ne trouvez pas ? Avant le conflit, mon oncle invitait souvent ses amis d'enfance chez lui. Nous dansions et chantions des chants de chez nous et buvions du cidre jusqu'à-ce que les voisins ne viennent nous dire de faire moins de bruit.

Elle se retourna à nouveau vers son interlocuteur avec un sourire franc et des yeux pétillants de curiosité. Eulalie était décidément d'humeur bavarde en ce moment. Elle réalisa que les chants traditionnels devaient être assez peu courant pour l'homme si celui-ci était parisien d'origine. Après tout, depuis l'apparition de l'école Républicaine, tout avait été fait pour gommer les patois et singularités régionales... La jeune femme décida qu'il valait mieux clarifier rapidement le berceau de son identité, pour éviter de perdre l'homme dans ses divagations.

- Je suis née et j'ai grandi à côté de Saint-Malo... Mon père travaillait sur un morutier, avant la guerre. Je ne sais pas où il est, maintenant. La famille qu'il me reste à Paris reste très attachée à notre région d'origine, nous sommes assez impliqués dans la communauté bretonne qui vit ici.

Les yeux verts de la jeune femme détaillèrent un instant le fond de son verre. L'éclairage renvoyait des lueurs étranges sur les reflets de l'eau qu'elle n'avait pas encore bue. Un instant, elle repensa à la côte, au vent de l'atlantique qui fouettait ses joues et emmêlait toujours ses cheveux.

- Avez-vous déjà vu l'océan ? Je crois que, malgré tous les charmes de notre capitale, je n'ai jamais rien admiré d'aussi beau. Je me rappelle, lorsque j'étais enfant, je grimpais avec les femmes du village jusqu'en haut du Cap Fréhel pour voir les bateaux disparaître à l'horizon quand venait la saison de la pêche... C'est un spectacle qui mériterait d'être peint un bon millier de fois.

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MessageSujet: Re: Café concert   Café concert Icon_minitime1Sam 19 Aoû - 22:15

C'est aussi pour des moments comme ceux-là que la couverture de serveur me sied bien plus que je ne voudrais l'admettre. Pour ces instants volés à l'austérité quotidienne, à la méfiance, à la terreur, à ce goût âpre de sang que j'ai constamment en bouche à la pensée des allemands, jamais bien loin. Pendant quelques minutes appréciables, précieuses, j'ai retrouvé ce Paris que j'aime tant, qui me manque mais que, grâce à cette jeune femme, je sais encore en vie. Elle n'a pas idée de sa valeur dans cette obscurité. Alors, forcément, à ses propos, je ne peux que sourire, surtout en voyant le rose lui monter aux joues. "Inutile de me remercier, vous avez rendu ma journée plus douce, c'est moi qui devrais encore et encore vous remercier. Mais vous avez raison, la musique a un vrai don pour faire oublier les soucis." Et Dieu sait si nous en avons besoin. Je sais, pour un agnostique, cette pensée est pour le moins incongrue. Pour autant, il m'arrive souvent de penser à Dieu ces derniers mois, sans bien savoir si je dois être en colère ou non, ou, pire encore, à quel point ma propre existence pourrait me qualifier de pécheur prêt à brûler en enfer. Je chasse cette pensée d'une pichenette mentale alors que je lui ramène de quoi se désaltérer un peu et mon regard s'ancre dans le sien un instant, tandis qu'elle laisse échapper un rire pour le moins charmant. "Soprano à l'Opéra de Paris. Voilà qui a de quoi impressionner l'humble serveur que je suis." Je m'incline légèrement, le regard pétillant. "Je suis sûr que vous ferez bientôt les têtes d'affiche, il faudrait être idiot pour ne pas vous proposer un grand rôle."

Je me fige un peu quand elle tend sa main, peu habitué à ce genre de contact avec les clients. Mais, après tout, tous ne montent pas sur une table pour chanter de la sorte. Alors je serre brièvement ses doigts. "Enchanté mademoiselle Vernier. Je m'appelle Lucas Audran." Amusant comme je peux prononcer ce nom sans la moindre hésitation. Parfois, il pourrait presque m'arriver d'oublier que ce n'est qu'un emprunt, qu'une façade depuis de longs mois déjà. Et il est tellement plus facile d'être Lucas que Peter. J'ai un bref regard en direction de mon patron en lui désignant la chaise du menton et à son rire et sa mine approbatrice, je souffle, en réponse à la jeune femme. "Et bien, il semblerait que je puisse prendre quelques minutes de pause. J'imagine qu'après, je serais contraint de travailler de plus belle. Et j'avais vraiment l'air d'un piquet ?" Je suis son regard, tandis qu'elle fixe les danseurs et, quand elle reprend, j'ai un sourire un peu nostalgique avant de me crisper, le regard un peu sombre. "Maintenant, ce sont les allemands qui viendront nous dire de faire moins de bruit. Et autant dire qu'ils ne seront pas aussi aimables que vos voisins." Je toussote avant de secouer la tête. "Désolé, je ne voulais pas jouer au rabat-joie. C'est un joli souvenir que vous allez là, ne me laissez pas le gâcher de la sorte. C'est ce qui a vous a donné envie de chanter alors ?"

Et je continue de l'écouter avec une curiosité non feinte. J'avoue, je ne suis plus habitué à parler avec des gens qui n'ont pas de gêne à évoquer leurs origines, leur vie. Des gens qui n'ont rien à cacher ou alors, si c'est le cas, c'est une des meilleures menteuses que j'ai rencontrées. Pourtant, son regard semble des plus innocents et il pourrait en duper plus d'un. J'ai un bref sourire qui se fane quand elle parle de Saint-Malo. Sybille adorait y aller, il nous arrivait souvent de partir en escapade pour quelques jours. Et d'un coup, le souvenir de son rire, du soleil se reflétant sur l'eau tandis qu'elle courait le long de la plage, tout cela obscurcit ce qu'il y a autour de moi, de nous. Il me faut puiser dans toute mes capacités de concentration pour revenir à la réalité et je souffle, d'un ton rêveur. "Je connais Saint-Malo. Un peu. Et l'océan oui. Je ne peux qu'être d'accord avec vous, je n'ai encore jamais rien vu de plus beau. C'était à la fois captivant et apaisant. Jusqu'à quel âge avez-vous vécu là-bas ? Et vous avez vécu à Paris ensuite ?" Tout, plutôt que de parler directement de moi, de ces souvenirs qui s'entremêlent à une vie que j'ai inventée de toutes pièces.
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MessageSujet: Re: Café concert   Café concert Icon_minitime1Mer 23 Aoû - 23:39

Eulalie se sentait légèrement rougir face au serveur. Elle n’avait jamais su prendre les compliments sans rougir, lorsqu’ils étaient sincères. Et savoir qu’elle avait rendu le quotidien de cet homme, de tous les gens présents ici suffisait à son bonheur et à sa fierté. En remettant une mèche de ses cheveux blonds roux en place, elle darda son regard vert en direction de l’homme. Ses yeux semblaient pétiller d’une certaine malice que l’on ne voyait plus guère aujourd’hui.

- Eh bien, Monsieur Audran, je souhaite que votre prédiction se réalise ! J’espère juste que mon premier grand rôle ne se fera pas pour un opéra de Wagner, je ne peux plus l’entendre.

Elle touilla un instant dans sa tasse avec un air pensif. Un léger sourire habillait ses lèvres rosées. Au coin de sa bouche, les fossettes du rire se dessinaient progressivement.

- Vous connaissez Claude Debussy ? Un jour, il a déclaré que Wagner avait été un coucher de soleil que l’on avait pris pour une aurore. Je n’aurais pas trouvé de métaphore plus juste.

Elle nota le regard qu’il lança à celui qui devait être son employeur pour quérir la permission de s’asseoir. Sa remarque la fit sourire franchement alors qu’elle débarrassait un peu la table pour qu’il puisse s’installer. Un petit rire s’échappa de ses lèvres, à nouveau.

- Oh non, vous n’aviez pas réellement l’air d’un piquet ! Enfin, vous étiez très droit, mais vous n’aviez pas la raideur du piquet et… Oh, pardonnez moi, je m’égare.

Elle commença à parler de ses souvenirs, pour évacuer la gêne qu’elle avait causée seule. Étonnamment, elle se sentait à l’aise en présence de ce serveur. Elle lui confia les soirées parisiennes chez son oncle et un petit sourire vint à nouveau se figer sur son visage. La remarque cinglante de l’homme la ramena aussitôt sur terre. A vivre protégée, à se bercer du passé, elle en oubliait que chaque jour, des hommes et des femmes perdaient la vie pour des bêtises comme un couvre feu non respecté. Son air se noircit soudainement mais elle réussit à sourire à Lucas lorsque celui-ci s’excusa. Sa question la propulsa à nouveau dans ses souvenirs d’enfance et lui fit oublier l’espace d’un instant, qu’ils étaient toujours sur le fil d’une descente allemande, d’une dénonciation, d’une rafle purement arbitraire.

- Pas exactement… J’ai toujours chanté, d’aussi loin que je me souvienne. D’ailleurs j’adorais aller à l’église pour ça. Les cantiques... J’adorais les interpréter. Je crois que mes parents n’avaient jamais la paix à la maison !

L’air gai, bien plus gai qu’avant, elle parla de Saint-Malo, de la région qui l’avait vue naître. Elle nota également l’air sombre qui se dessina fugacement sur le visage de son interlocuteur. Doucement, elle fronça les sourcils, l’espace d’un instant. Sans doute avait-elle rêvé… Après tout, peut-être qu’il venait lui aussi de la région ? Peut-être qu’en parler faisait remonter de tristes souvenirs pour lui ? Tout le monde ne pouvait pas se vanter d’avoir eu une enfance heureuse.
Eulalia se reprit vite lorsqu’il confirma ses dires et lui demanda de plus amples informations sur sa vie. Depuis combien de temps n’avait-elle pas raconté cette histoire ? En souriant, elle avala une gorgée d’eau et regarda dans le vague. Ce n’était plus la guinguette qui existait en face d’elle mais la mer, les bateaux, le vent. Les frontières de sable et de sel.

- J’y ai vécu jusqu’à mes 13 ans. Je me rappelle encore très bien de cette année là… 1933. J’étais allée à Paris passer le concours d’entrée à l’Opéra. Je n’avais jamais rien vu d’aussi grand et d’aussi bruyant, ça m’avait tellement intimidée ! Je me rappelle encore de chacun des professeurs présents le jour de mon audition. J’ai rarement eu autant le trac de ma vie…Ils sont restés silencieux, tout le long. Ce fut le pire pour moi. Ne pas savoir. Puis en août, mes parents ont reçu ma lettre d’admission et mon attestation de bourse. En septembre, je les ai quittés pour aller vivre chez mon oncle et ma tante. Je revenais les voir à chaque vacance, jusqu’à-ce que je devienne chanteuse et que je doive me produire durant l’été. Alors ils sont venus à leur tour pour me voir, avec les quelques sous qu’ils pouvaient mettre de côté. Ça a continué comme ça jusqu’à l’invasion.

Un instant, elle se sentit prête à céder à la mélancolie. Mais quelque chose en elle se débloqua et décréta que cet après-midi, elle ne se laisserait pas abattre. Sans se laisser le temps de s’apitoyer sur le sort de la France, elle balaya les soucis naissants d’un revers de main et renchérit.

- J’aime Paris. C’est une ville splendide et l’on y rencontre des gens extraordinaires. Mais je ne pense pas qu’elle occupera un jour dans mon coeur la place de ma région natale.

Elle se tourna vers Lucas, l’air intéressé par sa personne. Elle avait beaucoup parlé d’elle, mais lui ? Elle n’aimait pas être la seule à parler, cela lui donnait l’impression d’écraser les autres autour d’elle et de les empêcher de s’exprimer.

- Et vous ? Vous n’êtes pas originaire de Paris n’est-ce pas ? Audran… C’est un nom qu’on entend fréquemment, du côté de Penn-ar-Bed. À vue de nez, je parierai sur Quimper ou Châteaulin.

Eulalie était d’humeur joyeuse. Elle avait la sensation de se trouver près d’un compatriote. Lucas avait quelque chose en lui, quelque chose d’indicible qui lui rappelait la maison.
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