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 A livre ouvert - Augustin

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MessageSujet: A livre ouvert - Augustin   A livre ouvert - Augustin Icon_minitime1Mar 5 Jan - 13:03

La Place de la Bastille arborait sa colonne, là, comme s’il y avait quoi que ce soit dont elle pouvait être fière. Derrière le « Génie », qui n’avait visiblement pas eu l’idée géniale de, par hasard hein, éviter une guerre moins de trente ans après celle d’avant, le soleil commençait doucement à se coucher et laissait des traînées rosâtres sur les pavés luisant de pluie parisienne.

Habillée d’une robe de seconde main mais propre aux couleurs vaguement vertes sensées mettre en valeur ses yeux, d’après un vendeur hypocrite qui tentait visiblement d’en obtenir le maximum, la jeune femme pédalait tranquillement, savourant l’idée d’avoir deux heures entière de battement entre son shift à l’Université qui venait de se terminer et celui à l’Hôpital qui débuterait ensuite. Deux heures qu’elle aurait dû mettre à profit pour faire des choses comme dormir, manger voire, s’il fallait être futile, se changer les idées, prendre un café, aller dans un parc, flirter avec un garçon mais qu’elle préférait passer à chiner de nouveaux bouquins. Du coup, après avoir quitté la Sorbonne et suivi les quai et ses bouquinistes, elle avait décidé de tourner à gauche et de passer la Seine au lieu de virer plein Sud pour rejoindre la Pitié-Salpêtrière. Rien de rien. Elle n’avait de toute façon pas une thune en poche mais rien que de rêver sur des livres lui aurait fait plaisir. Un jour, elle s’offrirait d’autres contes que ceux qu’elle avait emmenés lors de sa fugue. Elle se trouverait une vieille édition des Misérables, elle pourrait rêver sur le Comte de Monte-Cristo, revivre l’émotion épistolaire de Dracula. Un jour. Quand elle serait vieille et ridée. Quand Paris serait libre à nouveau – personne n’enchaînait Paris bien longtemps – quand elle aurait prouvé tout ce qu’elle avait à prouver et qu’elle pourrait penser à autre chose.

Elle leva les yeux, rêveuse, juste pour tomber sur l’enseigne d’une librairie. Une vraie boutique de livre. Elle s’arrêta, se mordant la lèvre. C’était trop beau. Il ne devait vendre que des livres orthodoxe et elle n’avait sérieusement pas envie de se farcir l’idéologie de l’envahisseur. Ou alors le type était un fou, un héros, qui prônait même en guerre la libre pensée. Il fallait qu’elle entre. Il fallait qu’elle voit. Elle fouilla dans ses poches, ne trouvant que son ticket pour le pain du soir. Ses sourcils se froncèrent tandis que ses yeux pétillèrent soudain d’amusement. Et bien, elle verrait quand même, juste, elle allait devoir le faire intelligemment.

Posant son vélo contre un poteau, à l’écart de la vitrine – du moins l’espérait-elle – elle attendit que les ombres bougent. Enfin, quelqu’un sortit, un paquet sous le bras. Profitant de la porte largement ouverte, elle se faufila en silence dans le bâtiment pour se cacher du comptoir derrière une étagère.

Des livres. Plein de livres. Son visage s’éclaircit soudain, révélant la jeune fille qu’elle oubliait souvent d’être. Ses yeux noisettes se pailletèrent de vert, tandis qu’elle passait doucement la main sur les reliures en tissu des ouvrages. Il y avait de tout. Des romans à six sous en passant par de la vraie littérature. Des dizaines et des dizaines de mots, de savoirs condensés, là, rien que pour elle, à portée de main, si seulement il pouvait ne pas y avoir de vendeur. Elle retint son souffle. Quelqu’un d’autre était dans la boutique mais ne semblait pas s’approcher d’elle pour le moment. Hésitant encore un peu, elle commençait à se dire qu’il serait peut-être intelligent qu’elle sorte lorsqu’elle tomba sur le Grâal. Un bouquin d’Ambroise Paré, un célèbre chirurgien de la renaissance, traduit en Français en plus. Elle regarda le prix. Trop cher. Elle regarda le temps. Une heure. Il lui restait une heure avant d’avoir à filer. C’était trop bête. C’aurait été tellement facile de mettre le livre dans sa robe et de partir comme ça. Tellement facile. Si seulement il n’y avait pas quelqu’un qui avait besoin de cet argent pour vivre lui aussi. Elle soupira. On ne semblait pas l’avoir encore remarqué. Alors, pleine de révérence pour l’ouvrage, elle se glissa dans un coin sombre, contre un mur, entre deux étagères et commença la première page, révérencieusement. Il y avait quelque chose de terriblement stimulant à lire, ainsi, tout en restant aux aguets pour ne pas se faire prendre.

Et puis, elle rendrait le livre. Et elle n’aurait lésé personne.
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Augustin Chassagne
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MessageSujet: Re: A livre ouvert - Augustin   A livre ouvert - Augustin Icon_minitime1Jeu 7 Jan - 0:30

Le client était sorti, avec plusieurs livres sous le bras, bien cachés dans un paquet en papier marron, tout à fait ordinaire. Il fallait bien avouer qu’il y avait un Kessel caché dans une couverture d’un Hugo, dans le lot. Augustin avait quelques bons clients, soucieux de lire de la vraie littérature, et tant pis pour ces infamantes listes Otto.
Augustin prenait des risques, il le savait, mais on ne pouvait vivre en une pareille époque sans savoir inspirer plus largement. Le carcan était par trop étouffant.

Se retenant de soupirer, il sourit au client suivant qui cherchait un cadeau pour sa mère. En bon libraire, Augustin posa quelques questions sur les goûts de la dite mère et finit par lui dégoter un ouvrage d’un jeune auteur drômois, René Barjavel. Une réécriture de la chanson de Roland, cela devrait plaire à une férue de héros épique et d’histoires tragiques, non ? Tout en discutant  du temps qui se décidait à se mettre au beau et que c’était pas trop tôt, et que si ça se maintenait, il serait temps d’aller pique-niquer sur les bords de Marne.
Au revoir, Monsieur, merci et revenez quand vous voulez…

Il n’y avait plus personne dans la librairie, et Augustin en profita pour s’allumer une pipe et tirer quelques bouffées. Ce tabac gris était immonde, mais hélas, il fallait s’en contenter. Bon, il ferait mieux d’aller voir dans sa réserve, si il trouvait de quoi regarnir les étagères qui n’en avaient pourtant pas besoin. Il sifflota “Que reste-t-il de nos amours”, tout en se dirigeant vers l’arrière boutique. Augustin tripatouilla bien dix bonnes minutes avant de ressortir avec quatre livres dans ses mains. Il commença à ranger tranquillement en chantonnant “ In the Mood”. Du jazz...Mais ce n’était pas grave il n’y avait personne, non ? Il commença à bouger ses pieds en rythme et à  esquisser des pas de danse avec une jeune femme imaginaire...Peut être qu’un jour, il aurait assez de courage pour inviter Inès à dîner ? Non, c’était folie, elle avait un fiancé… Augustin poussa un profond soupir et arrêta de faire l’imbécile, illico. Il ferait mieux de l'oublier, elle et son sourire adorable et de se mettre au réel. Et sérieusement ! Ou finir par accepter qu'il finirait vieux garçon, et voilà ! Personne n'e était mort, non ?

C’est en plaçant le dernier livre qu’il aperçut un bout de tissu vert dans un coin, qui dépassait de derrière une étagère. Il s’immobilisa. Il y avait quelqu’un ! Le rouge de la honte lui monta aux joues. Pourvu que la personne ne l’ait pas vu se ridiculiser complètement…

Silencieusement, il risqua un coup d’oeil. Et ce qu’il vit lui fit monter un grand sourire au visage. Une jeune fille, pas bien grosse, essayant de se faire encore plus petite qu’elle l’était, lisait passionnément. Ses sourcils se fronçaient sous l’effort et elle tenait le livre comme s’il s’agissait du Saint Graal, lui même. Augustin connaissait très bien cette expression du lecteur pris complètement dans sa lecture, et pour cause…
Puis il vit les bleus sur les mollets, la robe qui avait du vêcu et les traits tirés. Pauvre petite !
Il hésita sur la conduite à tenir : ne rien dire, laisser faire et l’inconnue à sa lecture ou intervenir et risquer de briser le charme ? Il se mordilla les lèvres, indécis.
Ce ne devait pas être très confortable tout de même ! Alors, il sut exactement quoi faire : son grand coeur de nigaud lui souffla la solution.
Il repartit dans l’arrière boutique et monta les escaliers qui montaient à son appartement. Il rafla un coussin sur le canapé et alla à la cuisine et fit un café. Enfin la bouillasse infâme “café national”. De toute façon, on ne trouvait rien d’autre. Il sortit deux tasses en porcelaine, des cuillères en vermeil, un plateau laqué de chine , du miel...D’accord, on buvait de la bibine marron mais autant le faire avec élégance. Il y avait mille et une manières de faire un pied de nez à l’occupation allemande...
Quand le café fut passé, il coinça le coussin sous son bras, prit le plateau et redescendit précautionneusement, un oeil sur les marches d’escalier, un oeil sur le plateau. Il traversa la boutique pour poser le plateau sur le comptoir. L’odeur du café commença à envahir la librairie. Augustin sourit et toujours son coussin sous le bras se dirigea vers la cachette de la jeune fille.
Il s’éclaircit la gorge pour ne pas lui faire peur et lui tendit le coussin, l’air de rien.

Bonjour Mademoiselle. Pour votre confort. Du miel dans votre café ?

Il souriait gentiment. Il espérait qu’elle ne s’enfuirait pas comme un moineau devant un chat. Il vit alors la couverture du livre. Ambroise Paré ? Les jeunes filles se cachaient pour lire un vieux médecin du 16ème ? Non pas arrondissement mais siècle...Incroyable ! Dire qu'Augustin fut intrigué est bien en deçà de la réalité. L'humain ne finissait jamais de le surprendre et là, il avait sa dose d'ébahissement.

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MessageSujet: Re: A livre ouvert - Augustin   A livre ouvert - Augustin Icon_minitime1Jeu 7 Jan - 11:46

A l’odeur de la pipe succéda le sifflement d’une chanson populaire de Trenet, le Fou Chantant. Des paroles aléatoire accompagnèrent l’esprit de la jeune femme qui voyait dans les descriptions des villages de la France profonde un rappel de sa colline à elle. Celle aux pavés et sans cachette mais qui avait eu son amour. Son seul et unique amour. Montmartre. Les mots tendre qu’on murmure […], les serments au fond des bois n’avaient jamais été pour elle mais elle avait des graffitis sur des murs, des dessins sur des balcons, des secrets chuchotés entre deux rires. La mélodie, douce et nostalgique était totalement en décalage avec le traité de chirurgie qu’elle lisait mais les deux se mêlaient en elle. La mélodie portant sa concentration, la focalisant sur les concepts ardus et les dessins précis de l’ouvrage. Le sifflement s’éloigna et la tranquillité revint. Le vendeur devait être plus loin, dans une autre pièce. Oubliant sa présence, elle reprit ses études, regrettant de ne pas être à son bureau pour prendre des notes et de ne devoir compter que sur sa mémoire.

Le temps passa en un éclair, les pages tournées en étant seules témoins. Et le vendeur réapparu, un autre air aux lèvres. Du Jazz cette fois. Callie grimaça. Elle aimait moins le Jazz. Pas parce que ce n’était pas joli mais parce que ses parents et son précepteur préféré avaient beaucoup aimé et que ça lui rappelait la maison, la haute société, les fêtes, le danger. Elle leva la tête, hésita une seconde à s’enfuir, mais le livre, le LIVRE entre ses mains était une tentation bien trop forte. Elle n’essaya même pas de lutter. Baissant les yeux, elle retourna dans ses études, caressant le papier comme elle aurait pu le faire de la peau d’un amant. Il y eut des bruits de pas un peu bizarre, comme un piétinement ou elle ne savait quoi mais rien de dangereux et puis du silence. Le vrai silence. Et la mélodie qui lui trottait dans la tête l’emporta loin dans les mots d’un homme mort depuis des siècles, un homme qui avait dû se battre car, malgré son génie, il n’était pas médecin mais QUE Chirurgien, une profession qui n’avait à l’époque pas du tout le même prestige que de nos jours. Un homme qui ne parlait pas le latin mais que son travail avait hissé au rang des rois. C’était lui qui avait démontré qu’on pouvait guérir d’une blessure aux poumons. Il avait même essayé de guérir le Grand Condé à la Saint Barthélemy. Ambroise Paré c’était un peu la femme qu’elle voulait devenir, celle qui passerait par la bande pour s’élever au plus haut et sauver le maximum de vie possible. Mais comme elle n’était pas un génie, elle, elle le ferait par le travail. Et tant et si bien qu’avec du bol, personne ne verrait la différence.

Déjà, devenir médecin. Continuer à gagner de l’expérience en tant qu’Infirmière, apprendre des consultations avec ces messieurs, apprendre seule en lisant des ouvrages. Elle soupira. Jamais elle ne retiendrait tout ce qu’elle avait lu. Jamais elle n’aurait le temps de tout lire avant de devoir le rendre. Et s’il le vendait avant qu’elle ait le temps de revenir ? La tentation de voler l’ouvrage se fit plus forte, seule sa détermination à rester quelqu’un de bien et d’honnête lui permit de la repousser. Non. Non. Non. Elle ne volerait pas à un pauvre type qui essayait sûrement difficilement de fournir un peu de culture dans un monde en guerre. Non. Elle valait mieux que ça. Elle fronça les sourcils devant un passage un peu technique, ses lèvres murmurant les mots pour mieux les comprendre, ses sourcils froncés, ses yeux bruns de concentration fixant les caractères comme pour les imprimer sur sa rétine. C’était technique. Très technique. Sa bouche devint soudain très sèche, elle n’était pas certaine d’avoir les bases pour comprendre ce qu’il voulait dire, là. Un mec mort depuis 350 ans merde ! Et il trouvait le moyen d’être trop compliqué pour elle. Elle remonta ses jambes, rapprochant les pages comme si ça allait changer quelque chose. Un toussotement rompit soudain le silence. Le cœur battant la chamade, elle allongea ses jambes avant de se rappeler que son principal problème c’était pas vraiment de ne pas être décente. Elle n’avait pas le DROIT d’être là. Et elle avait été prise. Et merde.

Elle leva la tête. Des genoux dans un pantalon simple mais de bonne facture. Et la voix qui avait chantonné lui parlant gentiment. Elle leva encore PLUS la tête. Il était méga grand. Tout maigre. Avec un plateau et un…coussin ? Elle cligna des yeux, pas sûre de comprendre puis décida que tout ce qui était donné était bon à prendre. Au diable les bonnes manières de son enfance. Elle était fille de la rue ou pas ?! Ah ! Elle attrapa l’objet qu’elle cala derrière son dos.

« Noir ça ira, merci. »

Elle regarda le numéro de la page, ferma l’ouvrage, le posa aussi haut que ses bras purent le porter (au niveau au moins de la seconde étagère) et examina l’inconnu, son plateau, et ses options à elle. Bon. Elle retira le coussin de son dos, le posant face à elle, maîtresse de maison.

« Vous avez l’intention de rester debout avec votre plateau ou vous allez vous asseoir ? J’sais pas vous mais je serais vénère si tout ce miel tombait sur les bouquins. »

Contente à l’idée de ne pas être expulsée tout de suite, elle fit un sourire mutin à son complice du moment et croisa les jambes pour faire de la place.

« Votre patron ne va pas gueuler s’il vous voit partager du café avec une resquilleuse… Monsieur… ? »

Ouais, elle ne s’était pas présentée. Mais cela n’allait certainement pas l’empêcher d’essayer d’en savoir plus sur le grand échalas qui chantait du Jazz et du Trenet et offrait du café dégueulasse sur des plateaux en argent.
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MessageSujet: Re: A livre ouvert - Augustin   A livre ouvert - Augustin Icon_minitime1Lun 25 Jan - 12:50

La jeune fille jeta un regard de bas en haut sur Augustin. Il supposait qu’elle jaugeait la situation, afin de savoir comment réagir : se tirer de là en vitesse, s’excuser, ou profiter de l’occasion...Augustin n’était ni assez large, ni assez imposant pour qu’elle s’en aille, de peur de s’en prendre une dans le museau... Il n’était ni  assez sévère  ni assez  cul-serré pour qu’elle s’excuse, sans exagérer non plus.... Il n’était non plus, ni assez gringalet ni assez fleur de nave pour qu’elle se croit en terrain conquis. Fallait pas pousser le Chassagne dans les ronces !

Non, au lieu de ça, un aplomb monumental, avec un mélange de politesse et de hardiesse tout à fait détonnant. Augustin se sentit sourire sans le vouloir.

L’après midi s’annonçait intéressant. Augustin tendit la tasse avec élégance, comme s’il servait une quelconque comtesse dans le salon de sa mère. Il estimait qu’une jeune femme capable de se planquer pour lire un livre aussi abscons pour les néophytes, habillée de bric et de broc, avec l’assurance des gens bien nés et ayant le minois d’une fillette grandie trop vite, méritait de respectueux égards, bien plus qu’une rombière de la Rive Gauche. La noblesse se logeait dans les endroits les plus improbables et les princesses avaient de drôles de goûts vestimentaires de nos jours…Et les princes charmants siflotaient faux  du jazz en pensant aux amours mortes. La drôle de guerre avait engendré une drôle d’époque…

Elle lui tendit le coussin, comme si elle était l’hôtesse du jour, lui faisant la faveur de le recevoir dans son boudoir. Augustin avait une franche envie de rire.

Quelle erreur impardonnable ! J’aurai dû prendre plusieurs coussins, bien sûr. Merci.

Il posa le plateau sur un coin d’étagère, ne voulant pas prendre le risque de tout faire basculer alors qu’il s’asseyait sur le sol. Puis, il posa précautionneusement le plateau entre eux deux, comme pour garder une distance bienséante.

Je serais extrêmement vénére... Il y a ici, des éditions originales assez rares et des textes qui sont d’une beauté renversante. J’y tiens comme à de vieux amis. Il y a des jours où je me demande si je préfère les humains ou les livres... dit-il sur un ton pensif.

Elle avait un sourire impertinent qui allait à la perfection avec ses yeux verts, décida-t-il. Elle était bien jeune, certes mais elle avait l’assurance de celui qui a eu plusieurs vies. Ce qui était peut être le cas, qui sait ? Augustin sentait qu’il allait aller de surprise en surprise, et ma foi, la sensation n’était pas déplaisante.

Augustin Chassagne. Je suis également le patron de la librairie, alors je crois qu’il y a peu de risque que vous vous fassiez jeter, maintenant, Mademoiselle ? Ah moins que ce soit Madame ? Vous preniez, peut être,  quelques minutes de répit entre deux lessives des couches de vos six enfants ?

Hautement improbable vu la jeunesse de l’inconnue, n’est-ce pas ? Et puis, Augustin avait cette lueur pétillante dans l’oeil qui annonçait la plaisanterie.
Était-ce une aussi une autorisation à ce qu’elle lui raconte des cracks ? Oui, évidemment. C’était une autorisation à lui raconter les plus invraisemblables mensonges : qu’elle était la fille bâtarde du Shah d’Iran en fuite pour échapper à un mariage arrangé, ou bien qu’elle était sans domicile fixe et qu’elle n’arrivait à dormir que parmi les livres, ou bien qu’elle était la fille d’un illustre personnage exécrant sa famille jusqu’au reniement…
Oui, même les bobards les plus gros, Augustin était prêt à les avaler. Tout d’abord parce qu’une amoureuse des livres méritait toute son indulgence, et ensuite, parce que l’époque faisait tomber du nid de drôles de coucous, et qu’un bon effacement des données était le minimum de charité. Qui était-il pour se donner l’apparence de  Statue du Commandeur ? Personne !

Un biscuit  peut être ? J’espère que vous aimez les amandes…

Celles ci venaient directement de la Magnanerie, son fief dans la Drôme. Envoyées par colis, oui, Madame. Depuis l’amandier qui surplombait le ruisseau où Augustin, enfant lisait et se gavait de fruits. Direct du producteur au consommateur...Est-ce qu’elle connaissait au moins ça, cette jeune femme aux yeux trop grands, hein ? Le délice de manger à même l’arbre jusqu’à ce que l’estomac vous tombe sur les genoux ? Hum...Pas dit. Et comme l'esprit d'Augustin commença à prendre la tangente et à repenser à son chez lui, qui était vraiment son chez lui depuis la mort de son père...Il était Le Chassagne de la Magnanerie, désormais. Ou la Chassagnerie comme l'appelait en riant les gens du cru. Il devait faire beau là-bas...Peut être qu'il arriverait à fermer la boutique un mois, en août...Il pourrait peut être convaincre Rachel ou Léo de venir réviser sous les mûriers ? Rachel était un peu pâlotte ces derniers temps. La cuisine de Germaine lui redonnerait un peu de vigueur, non ? Et puis, il pourrait s'étendre, en maillot de corps sur l'herbe tendre, décontraction qu'il ne s'autorisait que là bas...

Etait-ce le rêve du paradis drômois qui fit glisser LA question qui lui brûlait les lèvres, avant qu’il ait pu la retenir, au détriment de la discrétion. Rhaaa ! Elle allait se mettre sur la défensive, sûrement ! Zut et rezut ! Bon ben, tant pis...

Pourquoi Ambroise Paré ?
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MessageSujet: Re: A livre ouvert - Augustin   A livre ouvert - Augustin Icon_minitime1Lun 25 Jan - 15:26

Chassez le naturel, il revient au galop. Et autant la jeune femme était naturelle avec son franc parlé, son aplomb et ses sourires, autant ici, dans l’antre de la culture, avec un plateau d’argent et un sourire arraché au vendeur, elle sentait son éducation reprendre le dessus. Elle attrapa la tasse avec douceur, ses mains sentant la chaleur derrière la porcelaine se diffuser dans ses paumes. Elle aimait ça, boire avec ses mains avant de tremper ses lèvres dans le breuvage. Ca lui rappelait une époque où elle avait le temps. Du coup, elle fit comme chez elle, posant le coussin, invitant le type à la rejoindre, aussi à l’aise par terre qu’elle l’aurait été dans le salon chez son père une éternité auparavant. Son sourire se teinta d’amusement quand il rentra dans son jeu. Elle hocha la tête, bienveillante. Ce n’est pas grave, je vous pardonne disait son langage corporel. Lui de son côté, posa le plateau entre eux, comme un pont ou une table. Comme un mur auraient dit d’autres personnes mais pas elle, elle ne sentait pas d’hostilité, au contraire, elle avait l’impression qu’ils se comprenaient. Ou alors, il avait appelé les flics avant de se pointer et il gagnait du temps pour leur laisser celui d’arriver. Elle le regarda à nouveau, pariant sur de la gentillesse plutôt que de la perversité. Et puis, maintenant qu’il était assit, il semblait encore plus grand, du coup, bon.

« Les livres sont de meilleurs amis. Ils vous mentent tout pareil mais ils le font avec intelligence et plus de rêves derrières leurs mots. Et au moins, quand on les pose, on sait les retrouver, ils ne se perdent pas en route. »

Avec l’éducation qui revenait, l’argot se faisait la malle, normal. Et puis le langage était une façon de penser. C’était très compliqué de mettre en argot des concepts et des principes cultivés. C’était d’ailleurs pour ça qu’elle le parlait, l’argot, pour cacher sa culture derrière une façade de bêtises, de violence et de secrets. Là, elle ne promettait pas de ne pas se re-cacher mais elle avait décidé, puisqu’on l’avait prise la main dans le sac, de se dévoiler un peu. Pas trop. Pas beaucoup. Juste un peu. Pour changer. Pour voir. Et parce qu’un type qui avouait préférer les livres aux hommes ne pouvait pas être fondamentalement mauvais. Ni acquit aux allemands. Aux dernières nouvelles, eux brûlaient les livres. Son sourire s’agrandit à la présentation et à la taquinerie sous jacente. Assez pour faire pétiller ses yeux de paillettes vertes.

« Enchantée Monsieur Chassagne. On m’appelle Callie et par chance pour la Nation je ne suis, pour le moment, Mère de Personne.»

L’idée de se retrouver mère et laver des couches était assez saugrenue pour la faire rire intérieurement. Elle avait déjà assez de mal à s’élever elle-même sans avoir à élever d’autres âmes. Et puis les élever à quoi ? A être honnêtes et droits à leur manière ? A ne jamais rien devoir, à toujours chercher à s’élever plus haut ? Des gamins, elle en voulait, abstraitement, dans le futur, rien que pour prouver à son père qu’on pouvait très bien être dans le médical ET avoir une famille. Mais pas là. Pas alors qu’ils étaient en guerre. Pas alors qu’elle était à peine infirmière, pas encore médecin, pas là alors qu’elle ne savait pas encore vraiment qui ou ce qu’elle était. Elle hésita un moment à donner des détails à la con, à rester dans le non dit mais l’attrait du biscuit était bien plus intéressant pour le moment.

« Avec plaisir, merci. »

Elle en chopa un qu’elle coupa en trois petits morceau, faisant fondre le premier sur sa langue. Le goût du sucre et de la farine lui rappela à nouveau son enfance et la saveur particulière de l’amande, se mariant au beurre avait quelque chose de vaguement exotique. Ils étaient délicieux, pas la merde pleine de poussière qu’ils avaient avec les tickets. Quel était ce drôle de type qui possédait une librairie, servait du café dégueulasse sur un plateau en argent, qui avait de super bons biscuits à partager avec une resquilleuse en échangeant des plaisanteries, au sens français et anglais du terme ? Elle ne savait pas, mais elle l’aimait bien, décida-t-elle. Et comme elle l’aimait bien, elle ne voulait pas savoir. Revenant au moment présent, elle fit descendre le tout avec une gorgée du breuvage noir et amer puis posa ses yeux sur l’ouvrage posé bien en sécurité sur l’étagère à côté d’elle.

« Parce qu’Ambroise Paré… »

Elle s’arrêta soudain, rêveuse, réfléchissant à comment mettre des mots sur les émotions que le livre lui avaient fait vivre. C’était un génie méconnu, mais ce n’était pas que ça. C’était l’un des rares médecins de l’époque à baser ses soins sur le résultat de dissections humaines, mais ce n’était pas que ça non plus. C’était un chirurgien, pas un médecin, qui avait réussi à faire oublier sa « classe inférieure ».

« Tout d'abord, l'Ambroise Paré était là, hein, déjà c’est une bonne raison. J'suis une fille facile moi, je prends ce qui vient. Et puis, je ne sais pas si vous avez lu ou si vous connaissez un peu mais en gros, c’était un chirurgien vers 1550 par là, en plein pendant les guerres de religion entre les catho et les protestants. A l’époque, Chirurgien c’était pas comme maintenant. C’était en dessous des médecins, ils faisaient moins d’étude et ils étaient pas bien considérés parce que c’était un travail manuel, pas intellectuel. Et pourtant, Ambroise Paré, même s’il parlait pas Latin, malgré son statut vaguement inférieur, a réussi à se faire un nom, à guérir des gens qu’on aurait enterré sinon, et à ne pas être prétentieux. Son ouvrage est pas simple mais c’est parce que les concepts ne le sont pas. L’écriture, elle, représente bien le personnage. Et puis il m’a attiré l’œil, voilà. »

En y repensant, le Monsieur Chassagne, Libraire, il voulait peut-être des excuses ou une explication de l’empruntage plus qu’un cours sur les particularités de la Renaissance et l’intérêt des soins sur les poumons abîmés voire troués par des traits d’arquebuse. Et pourtant, avec les moyens limités qu’ils avaient et les dégâts des gaz en 1918, Callie, simple infirmière, elle pensait que c’était plutôt important d’en savoir autant que possible sur comment on faisait, dans le temps, pour guérir un poumon abîmé. Bien plus qu’un bête droit de la propriété. Surtout qu’elle l’abîmait pas, le bouquin et qu’elle s’était promis de le rendre après. De toute façon, si elle commençait à s’excuser, le charme allait être rompu et ça, c’était hors de question. Elle aimait bien cette ambiance bizarre de salon intellectuel qu’ils avaient, même assis dans la poussière. Elle reprit un bout de son biscuit. Tranquille, penchant la tête pour voir l’homme sous un autre angle avant de la redresser et de sourire.

« Vous êtes vachement bien achalandé, si je peux me permettre. Ce bouquin, je le cherche depuis des éons et c’est la première fois que je tombe dessus. Vous avez parlé d’éditions originales aussi ? De quoi, si ce n’est pas indiscret ? »

Son regard se fit un peu rêveur. Elle s’imaginait des Fables de la Fontaine avec des gravures de Gustave Doré et une belle reliure de cuir qui pesait lourd sur les mains. Elle avait eu un « Sans Famille » aussi quand elle était petite avec une reliure en bois et en tissu, rêche sous ses doigts d’enfant. Les livres lui manquaient. Les livre et le gros tapis devant la cheminée dans le bureau de son père où elle se rendait en cachette avec la bénédiction de son précepteur. Mais ça ne servait à rien de rêver à la vie d’avant. Elle s’était enfuie. Et si elle était restée, peut-être bien qu’elle aurait été cette « Madame avec des couches » qu’Augustin avait évoqué plus tôt.
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