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 « La prochaine fois tu peux être certaine que je ne te manquerai pas ! »

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Elsa Auray
Elsa Auray
J'ai vu la mort se marrer et ramasser ce qu'il restait.



Féminin

■ topics : OUVERTS
■ mes posts : 5210
■ avatar : Rose Leslie
■ profession : Fausse étudiante, à la tête de la Brigade

PAPIERS !
■ religion: Juive, paraît-il, mais il y a bien longtemps que Dieu n'existe pas pour elle.
■ situation amoureuse: Définitivement de glace.
■ avis à la population:

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MessageSujet: « La prochaine fois tu peux être certaine que je ne te manquerai pas ! »   « La prochaine fois tu peux être certaine que je ne te manquerai pas ! » Icon_minitime1Mar 10 Aoû - 22:56

« La prochaine fois tu peux être certaine que je ne te manquerai pas ! » I1019708_5 « La prochaine fois tu peux être certaine que je ne te manquerai pas ! » 1013 « La prochaine fois tu peux être certaine que je ne te manquerai pas ! » 3110
REINHARD FEHMER & ELSA AURAY & guest : CAROLINE LISIEUX
« La torture interroge,
la douleur répond. »

Les dernières notes s’éteignirent, semblant mourir dans une plainte lancinante avant de disparaître, laissant derrière elles, faible et tremblotant, un écho qui flotta un instant avant de se dissiper à son tour. Le silence feutré, un moment troublé par les sons déchirés de l’harmonica, reprit enfin sa place et ses droits sur le vieux pont déserté. De nouveau, seul le bruit tranquille des flots de la Seine se fit entendre, ainsi que la rumeur étouffée des rues parisiennes, encore vaguement animées en cette jolie fin d’après-midi. Derrière la silhouette sombre des immeubles de l’ouest, un soleil doux et aux rayons toujours vivants et chatoyants déclinait déjà, colorant encore légèrement le ciel azur des lueurs orangées du crépuscule. La journée avait été belle, et semblait vouloir s’achever sur la même note que celle de ses premières heures : doucement, sans accrocs, inondée d’un astre du jour resplendissant. Il n’avait pas même fait trop chaud. Jour digne d’un été parfait en somme, tellement parfait qu’on en oublierait presque les uniformes allemands qui, profitant aux aussi du temps, déambulaient tranquillement dans les rues. Simples touristes à l’autorité indiscutable, étrangers en voyage auxquels la ville appartenait… Presque. Impossible de ne pas penser à ces patrouilles qui défilaient sans cesse, aux claquements secs et réguliers de leur bottes sur les pavés et à cette sombre rumeur qu’ils charriaient avec eux, hantant la moindre petite ruelle. Non, le temps pouvait bien être magnifique, la guerre était bel et bien là. Et elle finissait toujours par vous rattraper.

Elsa, elle, n’en avait pas besoin pour s’en souvenir. Et pourtant, elle ignorait à quel point le rattrapage allait être violent en ce qui la concernait, lorsqu’elle referma ses fines mains autour de son harmonica, l’éloignant de ses lèvres. Elle était loin, bien loin de s’en douter. Pourtant, elle le savait, dans sa situation, tout pouvait arriver et surtout, n’importe quand. Même lorsqu’il s’agissait simplement d’aller retrouver un autre membre de la brigade, au coin d’une petite rue, et de récupérer deux grenades nécessaires à l’action du lendemain. Elle n’était jamais en sécurité, mais honnêtement, en ces temps troublés, qui pouvait bien l’être réellement ? Même les occupants commençaient à se rendre compte que, vainqueur de la guerre ou non, ils n’en étaient pas moins que de simples hommes, capables de tomber sous une balle à tout moment. Et Elsa était là pour le leur rappeler. D’un geste distrait, elle chassa une mèche rousse qui venait lui chatouiller le visage, la coinçant dans la casquette qui dissimulait plus ou moins son longue chevelure. Elle n’était pas idiote, une telle précaution ne lui était pas d’un grand secours mais elle savait très bien que ses cheveux roux faisait d’elle une cible parfaitement reconnaissable pour qui l’avait déjà vue. Or, Ice n’était plus aussi anonyme qu’elle l’aurait voulu. Un souffle d’air vint légèrement soulever sa veste, révélant la crosse d’un revolver coincé à sa ceinture. Rapidement, elle rabattit le tissus sur la chemise blanche et le pantalon dont elle s’était vêtue. De loin, sa frêle silhouette passerait presque pour celle d’un jeune homme. De loin. Et ce n’était pas ça qui la sauverait.

Lentement, elle se décolla de la barrière des pont des Arts contre laquelle elle s’était appuyée. Comme souvent, elle y était venue un moment durant se perdre dans ses pensées, seul endroit où elle se permettait une telle faiblesse. Une faiblesse qui pourtant jamais ne pouvait se lire sur son visage de statue, comme gravé dans du marbre brut, immuable. Même lorsque ses songes s’attardaient un peu trop sur des images, des instants qu’elle aurait préféré oublier. Mais de Marc, il ne lui restait que cela de vivant – du moins, c’était ce qu’elle croyait – et une part d’elle-même se refusait à l’effacer totalement. Si elle avait pu seulement imaginer ce que le défunt jeune homme lui avait véritablement laissé… Mais rien, rien ne pouvait le lui indiquer. Et ces souvenirs, cette fois-ci, n’étaient pas ce qui avait le plus longtemps occupé son esprit. Non, il y avait Caroline. Son réveil, enfin, sa perte de mémoire… ce qu’elle lui avait raconté. Si des bribes de souvenirs avaient semblé lui revenir au fur et à mesure que la froide rousse les évoquait, qu’en était-il des moments qu’elle avait volontairement occultés ? Des personnes qu’elle avait passées sous silence ? De la personne. Fehmer. De tout ce qu’elle savait avoir eu lieu entre la danseuse et l’allemand, Elsa n’avait que vaguement souligné une rencontre, rien de plus. De ce qui s’était passé au Lutécia, elle n’avait rien dit. Un SS, un piège, une balle qui avait bien failli la tuer… Caroline n’en savait pas plus. Et là encore, Elsa ignorait que ses mensonges allaient la rattraper, tout comme ils l’avaient fait de son amie, quelques semaines plus tôt.

Sept heures. Tournant les talons, la jeune femme glissa son harmonica dans la poche intérieure de sa veste et descendit les quelques marches du pont des Arts. Dans une demi-heure elle devait être rue de Lappe, aux alentours de la place Bastille. Marcel devrait l’y retrouver pour lui faire passer les grenades dont elle avait besoin le lendemain. Rapidement, elle s’engouffra dans la station de métro du Louvres, fantôme glacial et clandestin parmi la foule. Agilement, elle évita un gamin qui, ayant perdu sa mère de vue, manqua de peu de la heurter en courant sans se préoccuper du reste vers la silhouette maternelle qui s’éloignait. La belle avait parfaitement calculé son temps, elle serait à sept heures et demi sonnantes au lieu du rendez-vous. Et elle ne serait pas la seule. D’autres seraient là aussi, terriblement ponctuels, et l’attendaient sûrement déjà. Pourtant, Marcel n’était pas sensé être déjà arrivé. Non, lui aussi devait y être à l’heure prévue et c’est forte de la conviction de l’y trouver que la jeune chef s’appuya contre l’une des parois de la rame. Le risque, à ses yeux, n’était ni plus ni moins élevé qu’à l’ordinaire. Froidement, elle jeta un regard sur les parisiens agglutinés autour d’elle Plongés dans leurs pensées, leurs discussions, leurs journaux… Pas une tête déjà croisée – elle ne croyait pas aux coïncidences -, pas œil trop insistant posé sur elle. Comme souvent, l’endroit semblait tranquille. Et au fil des arrêts réguliers du métro, du va et vient incessant de la foule, des stations qu’elle connaissait par cœur, Elsa se prit à redevenir songeuse. Caroline, la brigade, son mensonge, l’action, Fehmer, la guerre… Tout un flot de pensées on ne peut plus ordinaires lorsque l’on était à la tête d’un réseau de résistance.

Station Bastille La jeune femme releva la tête et suivit le mouvement des gens sortant de la rame puis du souterrain. Coinçant une nouvelle mèche rousse dans se casquette de gavroche, elle effleura doucement la très légère bosse que formait son arme sous sa veste. Chargée, dissimulée… elle savait que tant qu’elle l’avait, la situation ne serait jamais bloquée. Les évènements l’avaient déjà prouvé, tout comme ils avaient montré qu’il fallait s’attendre à tout… n’importe quand, de n’importe quelle façon. Elsa le savait, elle n’aurait pas toujours une épaule dans laquelle tirer pour s’en sortir. Sans que cette idée n’arrache la moindre expression à ses traits de glace, elle prit la direction de la petite rue de Lappe. Dans cinq minutes, elle serait au lieu convenu. Dans cinq minute, toute le monde – les attendus et les autres – se retrouverait. Deux rendez-vous dont un seul serait respecté ; deux rendez-vous, mais tous les participants n’étaient pas encore au courant. D’un pas vif, Elsa traversa la route. Il s’agissait de ne pas être en retard…

Marcel, lui, fit un bond en arrière pour éviter une voiture qui manque de le renverser. Il ne l’avait pas vue, trop occupé à surveiller les alentours. Il ignora le coup de klaxon qui le réprimanda puis s’aventura de nouveau sur la chaussée, avec succès cette fois. De la place des Vosges, il voyait déjà la rue dans laquelle il devait rencontrer sa chef. Dans sa serviette de cuir, se balançaient deux grenades enroulées dans du papier journal – du papier qui, et ça l’avait fait rire, relatait leur dernière actions, les traitant de terroristes et de fauteurs de troubles. Un sourire effleura encore ses lèvres à cette idée. Il n’était pas nerveux, il avait l’habitude de ce genre de transactions. Et puis, celle avec qui il la faisait, aujourd’hui, n’était pas une débutante. Son précieux colis ne risquait pas grand-chose entre les mains de Ice. D’un pas décidé donc, et tranquille, il s’engagea dans la rue de Lappe, jetant un regard aussi discret qu’automatique autour de lui. Toujours se méfier, c’était la règle. Bien lui en prit. Elle avait beau être embusquée, dissimulée, l’ombre postée un peu plus loin ne lui échappa pas. Chapeau on ne peut plus commun, longue veste noire… Un quidam banal, bien trop banal pour n’être pas plus, surtout lorsque le soleil qui perçait encore entre les deux rangées d’immeubles faisait reluire à ses côtés le canon brillant d’une arme. On ne la faisait pas, à Marcel, il n’était pas né de la dernière pluie. Et ce genre de reflet là ne trompait pas. Son sang ne fit qu’un tour lorsque, apercevant une deuxième silhouette, il comprit le piège. Sans changer d’attitude toutefois – surtout, rester anonyme et inintéressant – il bifurqua dans la première rue venue, d’un pas aussi assuré que s’il s’agissait de son itinéraire premier. Fuir. Ne pas avoir l’air suspect. Surtout, rester calme. Soudain, les deux grenades semblèrent peser plus lourd dans son sac. Mais aucun bruit derrière lui. Pas de course, pas d’ordre. On ne l’avait pas vu, ou alors on l’avait laissé filé. Ils devaient attendre quelqu’un venant de l’autre côté. Ice ! Il devait la prévenir. Inconsciemment, il accéléra le pas. Faire le tour, l’attraper avant qu’elle n’entre dans la rue, sinon c’était perdu. Vite.

Elsa gagna un nouveau trottoir. A quelques mètres, la ruelle se dessinait, moins agitée, un peu plus sombre sous le soleil déclinant. Sept heures et demi, elle était à l’heure Ponctuelle, c’était nécessaire. En avance, elle risquait d’éveiller les soupçons à attendre. En retard, la personne qui l’attendait pouvait croire à un problème. Impassible, comme s’il était tout naturel qu’elle se trouve là où elle était, comme n’importe quel quidam, elle entra dans la rue de Lappe. L’heure des rendez-vous était sonnée et elle s’y rendait tout droit. Elle avait à peine fait quelques mètres que deux autres silhouette débouchaient de la place et pénétraient à leur tour dans la petite rue. Du coin de l’œil, la froide rousse surpris un geste entre les deux hommes aux longues vestes et aux chapeaux sombres. Un éclair passa dans ses prunelles, mais elle ne s’arrêta pas. Elle avait compris. Mais aucun geste ne devait la trahir. Pas encore. Deux nouvelles ombres se détachèrent, devant elle cette fois. Elsa, impavide, serra les dents. Un piège. Un piège qu’elle n’avait pas vu venir, elle qui tendait si bien ceux qu’elle tissait pour ses victimes. Derrière, les pas se firent plus pressants, se rapprochant dangereusement. Brusquement, une main se referma sur son épaule. Brusquement, elle glissa sa main jusqu’à son révolver.
« Seine Waffe! Nehmen Sie ihm seine Waffe ! »
Son arme ! Prenez-lui son arme !
Son arme. Les traits d’Elsa se firent glacial. Ils la connaissait bien. Trop bien. Avant qu’elle n’ait eu le temps de faire quoi que ce soit, une autre poigne se resserra sur son bras, bloquant tout espoir de mouvement de ce côté-là. D’un geste, elle tenta de se dégager, mais déjà son révolver quittait sa ceinture et, sans qu’elle pu seulement réagir, deux des quatre hommes la plaquèrent violement contre l’un des murs, tout proche, bloquant épaules et mains à grand renforts de mots en allemand auxquels elle ne comprenait absolument rien. Et elle eut beau se débattre avec une force inattendue dans une si fine silhouette, que pouvait-elle faire, frêle et seule, contres deux soldats et un troisième, qui vint leur prêter main forte ? Une gifle brusque l’interrompit sur une dernière tentative, envoyant cogner sa tête contre la pierre. Sonnée, elle eut juste le temps de faire un geste en direction de sa joue avant de sentir une arme se poser contre sa gorge, la dissuadant du moindre mouvement supplémentaire. Plus haut, Marcel passa rapidement devant la rue. Il avait tout vu. Trop tard. Mais au moins, il était libre. Prévenir les autres, vite. Et tandis qu’il s’éloignait, les prunelles d’Elsa, lançant des éclairs glacés, rencontrèrent soudain un regard. Un regard… familier. Se raidissant brusquement, elle serra fermement les dents. Cinglantes, les dernières paroles de Fehmer, au Mirador, lui revirent. « La prochaine fois tu peux être certaine que je ne te manquerai pas, Elsa ! ».

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MessageSujet: Re: « La prochaine fois tu peux être certaine que je ne te manquerai pas ! »   « La prochaine fois tu peux être certaine que je ne te manquerai pas ! » Icon_minitime1Lun 16 Aoû - 0:13

Les cris amusés des enfants crapahutant dans les bacs à sable, les femmes assises à l’ombre d’un platane qui lisaient un livre en jetant un regard inquisiteur sur leurs progénitures, la vision de Paris en ce beau jour d’été donnait dans les stéréotypes d’une vie sans perturbation, peut-être simplement paradisiaque. Pourtant, les uniformes allemands courraient encore les rues, et les pancartes interdisant aux Juifs l’accès des lieux publics n’avaient pas disparues pour autant. Oui, même dans les instants qui paraissaient ensoleillés, l’ombre dominatrice venait imposer sa présence hautaine et dominatrice. Les seules règles régissaient dans l’ombre des parisiens apeurés, s’accoutumant tant bien que mal aux dernières tendances et lubies de l’Occupant. Je marchais tranquillement dans les rues, ce matin-là, une cigarette à la bouche, admirant les visions qui me plongèrent dans mes plus profondes pensées. J’avais tout le temps de songer à l’arrestation d’Ice, aujourd’hui était certes le grand jour, je mettais mon esprit au repos de tous ces tracas laborieux. Ainsi j’oubliais en marchant les aveux du jeune homme qui venait tout juste de cracher le morceau, et de nous apprendre où nous pourrions trouver sa camarade pour procéder à sa capture. Qui aurait pu croire, en me voyant marcher l’air serein, que j’étais cet homme qui traquait ses cibles sans relâche, plus acharné que jamais ? Qui aurait pu croire, en voyant un homme fumer tranquillement sa cigarette et souriant devant la vision des enfants s’amusant, qu’à l’intérieur il était brisé ?

Brisé, à défaut de catatonique, voilà comment j’étais à l’intérieur. D’un point de vue externe, rien ne semblait pouvoir perturber mon quotidien morne et prisé dans une routine infernale. La mort de Caroline m’avait tellement touché que je n’avais à présent plus qu’une chose à faire, une seule et unique motivation à ne pas quitter Paris sur le champ : Ice, alias Elsa Auray, et sa bande de résistants. Le seul jour où je mettrai la main sur son réseau me permettra de rentrer chez moi, avec pour seule compagnie la solitude. L’aimais-je au point d’en avoir perdu ma raison de vivre ? Jamais je ne l’aurais cru, pourtant ce malaise constant avec lequel je vivais depuis sa mort… force m’était donné de comprendre que de toute évidence elle jouait un rôle crucial. L’une de ces personnes qu’il ne fallait pas perdre, l’un de ces quidams qui rythme notre vie au point de nous déstabiliser complètement dès leur disparition. J’avais déjà vécu quelques jours sans voir Caroline Lisieux, mais la simple idée de ne plus jamais avoir ce privilège m’était inconcevable.

Pourtant j’arrivais encore à marcher droit, et terminant ma cigarette dans une ultime bouffée de tabac, je l’écrasais d’un geste nonchalant par terre. Cette journée allait encore m’être pénible, comme elles l’étaient toutes depuis l’incident de la chambre du Lutécia, j’avais pour seul espoir le fait que capturer Elsa vivante égaye un peu mon humeur maussade. D’après ce que nous avais dit le pauvre compagnon qui côtoyait souvent Ice, cette dernière se trouverait dans la rue Lappe aux alentours de sept heures. La compagnie Schutzstaffel était déjà sur place, tapie dans l’ombre, à attendre la seule présence d’une rousse pour faire apparition. Elle était notre unique cible ce soir, nous n’avions pas besoin des autres, que des pantins embarqués dans toute cette affaire. Il ne nous fallait pas des guignols, non, ce que nous voulions était le cerveau. Je jetais un regard désintéressé à ma montre. Sept heures vingt-cinq. Les mains dans les poches, je m’appuyais contre la rambarde métallique d’un vieux banc, ne daignait pas m’y asseoir sur le bois pour le peu de temps que j’allais rester là. Un signal, c’était tout ce que j’attendais. Une seule indication que mes troupes étaient déjà entrées en jeu. J’avais quitté le bureau quelques heures plus tôt, comme les consignes me l’avaient indiquées, histoire de prendre un peu l’air. Un trop plein de travail, prendre un peu d’air frais était devenu primordial face au manque de sommeil. Elle s’était ôté la vie devant mes yeux, comment ne pas être hanté par cette vision ? J’en avais vu, pourtant, des morts et du sang, mais elle.. Non, pas elle.. Mon air blême avait grand besoin d’une bouffée d’air, de sentir les rayons du soleil, reprendre des forces. Pourtant j’en avais, des forces, avec la seule envie de me battre, de me venger, de terminer mon travail et d’en finir une bonne fois pour toutes avec Paris. J’étais tout indiqué pour une bataille, désormais, quoiqu’il advienne je n’avais plus rien à perdre.

« Sie sind dort, Herr Fehmer. », vint m’informer un soldat qui débarquait d’une ruelle proche du lieu de rendez-vous.

Ainsi donc les troupes étaient déjà déployées, prêtes à agir. C’était parfait. J’acquiesçais d’un signe de tête à l’égard de l’informateur, le congratulant pour les nouvelles qu’il venait de m’apporter. J’avais déjà interrogé, constitué le dossier, maintenant je n’avais rien d’autre à faire que d’attendre que la cible fasse son apparition, et que les soldats se chargent de l’arrêter. Une autre personne arriva au pas de course, m’informant du grabuge qui se déroulait dans la rue Lappe. Ça y est, Elsa devait être entre les mains des nazis, et un semblant de sourire traversa un instant mon visage à cette idée avant que je ne me renferme dans cet attitude froide et distante qui me caractérisait si bien ces dernières heures. Je n’avais plus qu’à pointer le bout de mon nez, juste pour dire que je faisais partie de l’action.

« Seine Waffe! Nehmen Sie ihm seine Waffe ! », furent les paroles que j’entendis en arrivant sur les lieux.

Je n’avais eu qu’à tourner dans une petite ruelle pour débarquer, il fallait dire que nous avions trouvé la planque parfaite, où attendre la future piégée. Les soldats s’étaient chargé de tout, et ils n’y allaient visiblement pas de main morte. Je ne dis pas un mot pourtant, me contentant de jeter un œil impassible sur la jeune femme, dont la tête venait d’être heurtée de plein fouet par la claque d’un officier. Je ne tenais lieu que d’observateur dans cette arrestation, je n’avais pas l’intention d’y prendre part de quelque manière que ce soit. Mon implication dans l’affaire « Ice » avait commencé dès lors que j’avais monté mon dossier, y apportant des modifications et des ajouts de temps à autres, au rythme du quotidien, et elle allait continuer avec les interrogatoires qui allaient suivre une fois que nous arriverions à destination. Je remarquais sans mal qu’elle avait compris que j’étais là, à en juger par ces éclairs qui fusèrent de ses yeux quand elle les posaient sur ma personne. M’approchant un peu plus de la jeune femme, tenue par trois soldats bien armés, j’enlevais cette ridicule casquette de gavroche derrière laquelle elle dissimulait sa chevelure flamboyante d’un geste vif, la jetant à terre.

« C’était bien essayé… », lui fis-je remarquer dans un semi murmure, avant de la voir entraînée par les forces armées vers les bureaux de la Gestapo après un signe indicatif de ma tête à l’attention des soldats.

***

Cinq heures étaient passées depuis l’action de la rue Lappe. Emprisonnée dans une cellule en attendant les tortures, Elsa n’avait d’autre choix que de s’absoudre à son pitoyable sort. Je n’avais pas - encore - pour intention de la tuer, non, l’important était de la faire parler, et par n’importe quel moyen que ce soit. Je n’avais pas peur de faire mal, le fait qu’elle était une femme devrait me freiner mais je ne voyais en elle que la résistante qu’elle était. Ses nombreuses opérations de sabotage qui avaient mis la vie de mes compatriotes en danger. Elle voulait ralentir l’avancée allemande sur son pays jusqu’à l’anéantir, et c’était pour cette même raison qu’il fallait que nous la bloquions avant. Démanteler son réseau entier était l’espoir final. Le but suprême, si je puis dire. M’approchant des barreaux d’un pas mesuré, lentement, les traits illisibles, quelques cernes trahissant juste la pénibilité avec laquelle j’endurais cette période de deuil, c’était sans doute la première fois qu’Elsa me voyait porter mon uniforme, que j’avais du revêtir en vue d’une importante cérémonie.

« Je te ferai porter à manger, il va te falloir de quoi tenir les pénibles heures qui t’attendent.. », lui dis-je d’un air las, presque trop gentil encore compte tenu de la situation.

Ces paroles étaient les seules auxquelles elle aurait droit ce soir, une fois qu’elle aurait mangé allaient commencé pour elle de sombres minutes de questionnement intensif. Elle pouvait nous faciliter la tâche et parler tout de suite, auquel cas tout passerait plus rapidement, mais je savais qu’elle n’allait pas se laisser faire comme ça. Ce n’était pas dans son caractère, non. Sur ce, je la laissais seule, avec bien en tête le fait que je la retrouverais très bientôt, bien plus tôt, à vrai dire, qu’elle ne puisse le penser. 

***

Trente-quatre heures désormais que je retenais Elsa Auray captive de nos services. Tantôt dans sa cellule, tantôt dans la salle où nous « posions les questions », elle résistait tant bien que mal. Pénétrant la salle pour une énième séance à bavarder pour qu’elle me livre des confessions, je jetais un regard glacial sur l’ensemble de la pièce. L’atmosphère qui y régnait n’était pas des plus chaleureuses, et la pauvre victime subissait déjà les prémisses - quelques claques, tout au plus - d’un soldat qui « préparait le terrain ». J’avais déjà assisté à pas mal de séances de torture afin de faire parler des suspects, mais j’attendais celle-ci depuis tellement longtemps, que j’étais navré de ne pas m’en réjouir plus. Affecté des événements récents, j’essayais de me concentrer sur tout autre chose que la mort de celle que j’aimais, mais malheureusement le visage de la rouquine me rappela cette fois où j’avais pris un café avec les deux amies. L’une était celle pour qui mon coeur battait, l’autre mon ennemie jurée. Mais à l’époque, tout était déjà compliqué, mais bien plus simple qu’au jour présent. Mes bottes claquèrent sur le sol bétonné de la pièce, le bruit sourd résonna comme si nous étions tous dans un vieux caniveau désaffecté. Ce qui n’était pas lui du compte, en fait, puisque nous étions dans les caves réservées à la Gestapo pour ce genre de petites pratiques. Un lieu lugubre, pour des pratiques lugubres, quoi de plus coordonné ? Elsa se tenait au centre de tous les regards, assise sur une chaise, ses pupilles avaient déjà dû s’habituer à la pénombre. Elle n’avait pas vu la lueur du jour depuis plus d’un jour.
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Elsa Auray
Elsa Auray
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MessageSujet: Re: « La prochaine fois tu peux être certaine que je ne te manquerai pas ! »   « La prochaine fois tu peux être certaine que je ne te manquerai pas ! » Icon_minitime1Mar 17 Aoû - 11:11

Et il ne l’avait pas manquée, en effet. Les poings d’Elsa se serrèrent brusquement, au moment même où elle reconnu l’officier qui se tenait à quelques pas, observant la scène sans y prendre part. Fehmer. Évidement. Qu’un autre se soit trouvé à sa place, ce soir, dans cette petite rue qu’elle n’aurai jamais du emprunter, l’aurait presque étonnée. Après tout, le dossier concernant cette Ice derrière laquelle elle se dissimulait était entre ses mains, elle n’en avait que trop eu la preuve. Et s’il n’y avait que ça. Leur rencontre au commissariat, qui aurait pu éviter bien des problèmes si elle s’était un peu plus fiée à ses soupçons ; le fiasco du Mirador et les sanglantes conséquences qui en avaient découlé ; les tirs manqués au Lutécia lors de l’action détournée de Caroline… Pour tout cela, ça ne pouvait être que lui. Cette arrestation ne pouvait venir que de lui. Tout comme elle s’était réservé la balle qui devait le voir tomber, enfin. Qui aurait du. Il ne s’agissait, depuis longtemps, plus que d’une course. Un course qui ne se jouait qu’entre eux deux, et à laquelle la victoire de l’un se signerait à l’encre rouge et verrait, inéluctablement, la chute indiscutable de l’autre. Et ce soir, c’était un fait, il avait été le plus rapide. En témoignait ce revolver appuyé contre la gorge de la jeune femme et les trois soldats qui la maintenaient solidement, imposants et certains de leur pouvoir. Les jeux étaient fait, inutile de songer revenir en arrière. Mais cette fois, après avoir roulé un instant, oscillant entre malchance et fatalité, les dès étaient restés cassés. Et le sort s’étaient enfin décidé.

Brusquement, les allemands décollèrent la jeune femme du mur contre lequel ils l’avaient plaquée. Fermement maintenue, elle ne tenta pas même un autre geste pour ses dégager, se contentant de vriller ses prunelles bleues sur Fehmer qui, à son tour, fit quelques pas vers elle. Intenses, les traits glacés que lançait son regard semblaient pouvoir le transpercer sur place. Et c’est la rage au ventre de ne rien pouvoir faire qu’elle du le laisser lui retirer sa casquette, libérant une cascade de chevelure rousse sur ses épaules, lui arrachant un tressaillement qui ne tenait absolument rien de la peur.
« C’était bien essayé… lui susurra Reinhard. »
Combien aurait-elle pu donner pour avoir son arme et le doigt sur la détente, à cet instant précis ? Beaucoup. Bien plus que ce qu’elle n’avait. Rares étaient les fois où la colère atteignait de telles proportions chez elle, et surtout, où elle regrettait de ne pouvoir s’y laisser aller. Mais cette fois, le regard qu’elle lui asséna n’avait jamais été aussi noir, jurant de façon on ne peu plus menaçante avec l’expression glaciale et tendue de ses traits. L’espace d’un instant, elle le défia ainsi – si l’on pouvait encore parler de défi – jusqu’à ce que, d’un signe de tête, il n’indique à ses hommes qu’ils pouvaient l’embarquer. Sans autre forme de procès, comme le disait si bien la fable, le deux soldats qui la retenaient toujours la redressèrent et la poussèrent rudement dans la rue. Dix neuf heures quarante venaient d’êtres sonnées et l’épée de Damoclès qui pesait au dessus de la tête d’Elsa venait de tomber, cédant à l’homme entre les mains duquel elle ne devait – ne voulait – surtout pas tomber. Malchance ou fatalité, le sort ne semblait pas vouloir en décider.

***

Depuis combien de temps était-elle enfermée ? La question effleura un instant l’esprit las de la jeune femme qui, assise sur une paillasse pour laquelle même ce mot était trop beau semblait observer le mur devant elle sans vraiment le voir. Depuis qu’elle avait été arrêtée, rien de plus ne s’était passé. Les soldats l’avaient laissée là et depuis, les minutes, les heures même s’égrenaient, silencieuses, à la fois longues comme une vie et aussi courtes que possibles. Elsa savait parfaitement ce qui l’attendait, au bout de l’attente. Les questions, auxquelles elle ne comptait pas répondre. Les techniques diverses et variées dont ces hommes allaient user pour la forcer au contraire. Quarante huit heures. Il fallait tenir quarante huit heures sans rien dire, c’était la règle. Ensuite, on pouvait lâcher une adresse. C’était simplement le temps que d’autres membres de la brigade ne puisse faire le vide dans vos affaires. Quarante huit heures… A la fois énorme et largement insuffisant, lorsqu’il s’agissait de nettoyer la maison où se réunissait le réseau. Rien, il ne fallait tout simplement rien dire. Quels que soient le nombre d’heures, de minutes ou de jours qui pourraient bien s’écouler. Un éclat passa sur les traits redevenus impavides de la jeune rousse, alors qu’un bruit de botte la sortit soudain de ses pensées. Calme, éternellement froide, elle leva la tête. Derrière les barreaux, mais de l’autre côté, celui qui ne sentaient pas le macabre et l’attente, Fehmer s’arrêta. Non sans ironie, Elsa nota l’uniforme dont il était vêtu. Voilà qui lui allait bien mieux qu’une tenue de civil. « Civil », la première chose qu’elle avait entendu de lui. Ô cruelle illusion.
« Je te ferai porter à manger, il va te falloir de quoi tenir les pénibles heures qui t’attendent… lâcha l’allemand sur un ton monotone.
- Charmante attention, ironisa l’intéressée, glaciale. »
Elle l’observa s’éloigner, sans bouger ne serait-ce qu’un cil. Les pénibles heures qui l’attendaient, il y avait longtemps qu’elle s’était résignée à les vivre, un jour ou l’autre.

***

Une nouvelle fois, les grilles qui fermaient sa cellule crissèrent, faisant retentir ce grincement sinistre qu’elle n’avait pas cessé d’entendre depuis un temps qu’elle ne parvenait pas à définir. Somnolant, flottant désagréablement entre le sommeil et la douloureuse réalité, Elsa leva à peine la tête. Elle savait très bien qui était là, et pourquoi. Quelques paroles en allemand, auxquelles de toute manière elle n’entendait rien, résonnèrent au dessus d’elle, se perdant dans le brouillard qui l’enveloppait. Mais qui se dissipa lorsque, brusquement, deux bras la saisirent pour la faire se redresser. Instinctivement, elle résista, mais il y avait bien trop longtemps qu’elle était là, qu’elle n’avait pas dormi et surtout que les interrogatoires s’enchaînaient pour que son geste n’ait un quelconque effet. Une énième claque sur l’arrière de crâne mit de toute façon fin à toute tentative et, de nouveau, elle se laissa traîner jusqu’à la salle qu’il lui semblait avoir quitté il y avait quelques instants à peine. Deux heures, tout au plus. Sans plus de ménagement que si elle n’avait été qu’un vulgaire chiffon, l’homme qui la maintenant la laissa tomber sur la chaise qui trônait au contre du caveau, à laquelle elle se retrouva rapidement attachée. Sur ses joues rougies, brûlaient encore les dernières gifles reçues tandis qu’au coin de sa lèvres, finissait de sécher la gouttelette de sang arrachée par un revers un brin plus violent que les autres, lorsqu’elle s’était avisée de tourner au cynisme la question que lui avait été posée. Alors elle s’était tue, et il y avait presque aussi longtemps qu’elle n’avait pas desserré les lèvres que ses yeux n’avaient pas vu la lumière du jour, se murant dans un silence glacial et obstiné.

Debout, l’homme qui se plaça devant elle attira un instant son attention, plus alerte maintenant qu’elle était sortie de sa somnolence. Plus imposant que le précédent, un air qu’elle trouva mauvais sur le visage, ce n’était plus le même. D’ailleurs, deux ou trois autres détails, sur lesquels elle n’avait que trop eu le temps de s’attarder, différaient également de son dernier passage sur cette foutue chaise métallique. Un rictus aussi léger que furtif effleura ses lèvres sèches. Le changement était subtil, mais palpable. Ses geôliers commençaient à se lasser de son silence. Bien. De toute façon, elle n’avait rien de plus à leur dire. Ce qu’ils semblaient avoir compris, car le nouveau soldat n’avait pas encore ouvert la bouche que déjà, une claque violente s’abattait sur elle. Lasse, vidée même, elle ferma les yeux et laissa les coups venir sans avoir l’air d’y prêter la moindre attention, réprimant la plus petite marque de douleur. Glaciale, hors de question de leur offrir quoi que ce soit d’autre. Du moins, jusqu’à maintenant. Quelques minutes s’écoulèrent ainsi. Combien, elle s’en contrefichait. Lorsque la porte de la pièce lugubre s’ouvrit à nouveau, elle n’eut même pas besoin de poser ses yeux sur le nouvel arrivant pour deviner de qui il s’agissait. Les bottes claquèrent sèchement, résonnant de façon sinistre à l’intérieur de la cave. Fehmer était là. Comme à chaque fois, spectateur muet de son silence obstiné. Une ultime gifle salua l’entrée de du jeune homme, puis le soldat aux airs mauvais s’éloigna. Se refusant à garder tête basse, Elsa se redressa, dardant son regard froid et noir sur l’officier.
« Reinhard, siffla-t-elle, comme pour le saluer, tu me manquais... »
L’ironie, le cynisme même dans sa voix était plus que palpable. Pourquoi se décider à parler maintenant alors qu’elle n’avait rien dit ou presque depuis qu’elle était là, elle n’en savait trop rien elle-même et ne chercha pas un instant à savoir. Evacuer, se débarrasser de cette angoisse, sourde et invisible, qui s’était remise à la tenailler… peut-être. Un rictus parfaitement assortit à son ton tordit sa bouche.
« Tu peux repartir, je n’ai rien à te dire, asséna-t-elle ensuite. Tu sais aussi bien que moi que tu perds ton temps… »
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MessageSujet: Re: « La prochaine fois tu peux être certaine que je ne te manquerai pas ! »   « La prochaine fois tu peux être certaine que je ne te manquerai pas ! » Icon_minitime1Mar 17 Aoû - 22:24

La jeune femme à la chevelure couleur de feu avait cru qu’elle allait passer inaperçue, avec ses cheveux soigneusement repliées sous une casquette de gavroche, mais les soldats ne s’étaient pas laissé prendre au jeu, et il faut dire que l’on ne reconnaît pas difficilement une carrure comme la sienne. Au fur et à mesure que je m’approchais pour constater la scène, je pouvais clairement ressentir l’atmosphère changer d’air, et l’agacement que cela produisait chez la jeune femme de s’être fait avoir comme une débutante. Nous n’aurions pu parvenir à un tel exploit sans l’aide de leur mouchard, un dénommé Etienne. Je m’étonnais moi-même qu’ils engagent aussi des peureux dans la résistance, mais c’était des personnes comme lui qui faisaient parfois progresser nos enquêtes, et ils s’avéraient bien utiles. Bien souvent, quasiment à tous les coups, on leur épargnait la vie, à ces pauvres braves qui ne vivent que de leur misère, sans but dans la vie, sans rien d’autre à quoi se raccrocher que leur misérable existence que nous ne nous targuions pas de mépriser. Je n’observais pas de haine envers ces personnes prêtes à trahir leur propre patrie, ainsi que leurs amis, pour garder la vie sauve, non. Ils me faisaient pitié. Lamentables, des loques, mais des loques prêtent à coopérer avec nous. C’était tout ce qui comptait. Personnellement, j’inspirais bien plus matière à respect envers les personnes hargneuses prêtes à vous cracher au visage mais qui pour rien au monde ne trahirait les leurs. Elsa Auray avait beau faire partie de ces personnes, je ne l’admirais pas pour autant. Cette femme avait l’esprit plus vif et plus inébranlable qu’une dizaine de mes hommes, ce qui rendait l’affaire davantage intéressante.

Qu’allait donc donner une Ice en captivité ? Nous ne tarderions plus à le savoir, bientôt elle refuserait de parler, et bientôt elle allait recevoir de nombreux coups pour cela. Je ne doutais pas qu’elle tiendrait tête aux officiers les plus coriaces, j’avais déjà hâte de voir ce que ses interrogatoires allaient donner. Je ne les observais que de loin, pourtant, plongé dans des papiers à régler, fumant cigarette sur cigarette pour oublier dans le fond que j’avais sans doute perdu l’une des choses les plus importantes de ma vie. Le regard noir que m’envoya Elsa tandis que les soldats l’embarquaient m’indifférait. De toute façon, il fallait se rendre à l’évidence, qu’elle s’en sorte un jour ou non, elle avait perdu cette bataille, et cela devait la rendre folle de rage, intérieurement. Je lui rendis un regard satisfait mais pas trop, juste pour qu’elle mesure que cette fois elle n’était plus capable de me tirer dessus, comme elle avait déjà eu l’occasion de le faire. Cette fois, l’arme était dans mes mains, et la sienne avait quitté la poche fourrée de sa veste.

***

« Charmante attention », ironisa la jeune femme tandis que je l’informais que quelqu’un se chargerait de lui porter à manger.

De l’ironie, c’était tout ce dont elle pouvait encore user, compte tenu de son état. Si ce n’était derrière le masque de la méchanceté, elle se rebellait selon ses moyens. Les mots, elle n’avait plus que cela. Mais je n’étais pas sans savoir que parfois il ne suffit que de quelques mots pour descendre un homme, et tous les hommes lettrés et intelligents ne l’ignorais pas. Penser, la liberté d’un ultime recours quand on nous prive de toutes les dernières choses que l’on possède encore. Parler, pour exprimer ses pensées, mais quel était le prix qu’Elsa était prête à payer pour cela ? À chaque sarcasme, les soldats ne feraient que de la battre plus fort, et encore un peu plus fort chaque jour, jusqu’à ce qu’elle craque. Ils n’avaient que faire que ce fut une femme, un homme ou même un vulgaire animal, tous partaient à l’abattoir de toute façon. Encore, je n’étais même pas sûr, ils devaient porter plus d’estime à un chien qu’à ces personnes qui, elles, leur pourrissaient la vie, alors qu’ils pourraient être tranquillement installés sur la banquette d’un café, au lieu de se priver des jouissances de la vie parisienne et de passer des journées dans une cave sombre a interrogé une jeune femme qui, de toute évidence, n’est pas prête à passer confessions. À la différence de ces hommes, j’étais prêt à passer du temps, à m’atteler à la tâche. De toute façon, que pourrais-je bien faire d’autre ? Dormir serait une bonne idée, mais le sommeil ne semblait plus vouloir de moi, mon esprit était bien trop occupé pour daigner faire une petite place à un subconscient qui devait aussi avoir pris un coup.

Je repartais comme j’étais venu, ignorant la remarque de la jeune femme. Son esprit rebelle ne me titillait pas plus que cela, mais je ne me doutais encore pas que les choses allaient bientôt prendre une tournure tout à fait différente. J’évitais de penser à Caroline alors que je savais qu’elle pouvait se servir de ce prétexte pour m’atteindre - était-elle si indifférente que cela à la mort de son amie qu’elle ne montrait pas l’ombre d’un sentiment ? - et le cours des évènements me rattraperait bien assez tôt. Profitons encore de quelques heures de répit, avant d’entamer les choses sérieuses.

***


Je ne revenais vers cette cellule que pour constater qu’elle était vide, plus d’une trentaine d’heures après cet entretien pour le moins bref. Rien ne sert de trop s’étendre, dans ce genre de cas, nous allions avoir pas mal de temps pour « discuter », les heures qui allaient venir n’allaient pas être des plus silencieuses. Et ce, même si elle se cantonnait à ne rien vouloir dire à propos de la brigade qu’elle menait. Je n’étais pas même étonné qu’elle fusse la chef potentiel d’un troupeau de révolutionnaire, elle avait cet esprit parfaitement serein et consciente d’où chacun de ses gestes allaient la mener. Mais là, elle n’avait rien vu venir, et pour une fois j’étais en position de force. Du moins, tout l’indiquait. Mes bottes claquèrent sur le sol humide de la pièce froide tandis que je regardais ce qui se passait. Un soldat était en train de gifler de bon cœur la demoiselle, et je levais la main, en guise de signe d’arrêt.

« Das genügt ! », lançais-je à son attention, accompagnant mon geste d’une parole.

« Cela suffit ! », lui avais-je dis. Rien ne servait de trop l’amocher, pour qu’elle ne soit ensuite même plus en état de parler tant sa bouche gonflerait après les ruées de coups qu’elle prendrait dessus. Et même si je refusais de me l’avouer, torturer une femme n’était pas aussi catholique qu’on le prétendait. La torture en elle-même n’est pas quelque chose de catholique. Je n’étais plus pratiquant depuis des années maintenant, la foi m’avait quelque peu quittée, depuis mon enfance, et j’avais grandi sans obligations vis-à-vis du clergé, ni de l’Église.

« Danke, können Sie verfügen. », dis-je en m’adressant à l’officier qui m’obstruait la vue d’une Elsa dont les joues et le visage tout entier avaient pris une teinte rouge, pas belle à voir.

« Merci, vous pouvez disposer. », ainsi aurais-je le loisir de m’adresser ouvertement à elle. Quelques soldats étaient adossés contre le mur, attendant certainement que le temps passe, ne faisant office que de figures. Simples mesures de précaution, au cas où les choses ne tournent à notre désavantage, mais plus probable encore, si le torturé avale sa langue. Ce genre d’incident ne devait pas arriver, c’était pour ça qu’un chef infirmier SS assistait aussi à la scène. Pas d’autres femmes que la française, Elsa, dans la pièce. Elles étaient trop compatissantes au sort des prisonniers, bien que certaines d’entre elles soient de véritables rapaces, et ne supporteraient sans doute pas que l’on confine et batte une personne. Beaucoup d’entre elles étaient au courant, bien entendu, de nos agissements, mais elles préféraient ne pas voir le visage de celui qui se ferait défigurer au préalable, comme ça la peine ou les remords sont moins lourds à porter. Je voulus prendre la parole, pour défaire le silence de Ice, mais elle me devança.

« Reinhard, tu me manquais », siffla-t-elle d’un air de défi, de provocation.

« Cesse donc tes sarcasmes, veux-tu, ce n’est que du superflus et ça ne te mènera nulle part ailleurs qu’à des souffrances supplémentaires, Elsa. », lui lançais-je d’un air déjà las d’une discussion qui ne mènerait à rien.

« Tu peux partir, je n’ai rien à te dire. Tu sais aussi bien que moi que tu perds ton temps… », me suggestionna-t-elle, avec un air certain.

Elle n’avait pas tort, je le savais. Mais après tout, qu’avais-je d’autre à perdre ? Rien, c’était ce qui faisait toute ma force, à présent, on ne pouvait plus me menacer de la perte de l’un de mes biens, car tout ce qu’il me restait n’était plus que matériel. J’étais tout seul, à présent, c’était elle contre moi. C’était eux tous contre une guerre qui ne prenait pas fin.

« Du temps ? J’en ai à revendre, si tu savais ! », lançais-je, sarcastique à mon tour.

Le ton de la discussion était bien trop sympathique, me semblait-il, nous restions courtois et ne nous assommions pas à coups d’injures, ni même de coups tout court. Ce n’était pas drôle, elle ne pouvait pas riposter, et je n’avais aucune envie de m’adonner à une lutte grecque pour l’instant. Peut-être devrais-je envisager cette possibilité dans l’avenir, histoire d’expulser un peu cette rage que je contiens en mon fort intérieur, mais pour l’instant je me tenais droit, inconscient de la perche que je venais de tendre à la rousse, qui trouverait sûrement là une brèche pour débuter sur un sujet bien plus délicat.
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Elsa Auray
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J'ai vu la mort se marrer et ramasser ce qu'il restait.



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MessageSujet: Re: « La prochaine fois tu peux être certaine que je ne te manquerai pas ! »   « La prochaine fois tu peux être certaine que je ne te manquerai pas ! » Icon_minitime1Mar 17 Aoû - 22:33

Elle avait beau l’avoir relevée fièrement, droite et glaciale à l’entrée de l’officier, il semblait à Elsa que sa tête pesait plusieurs dizaines de kilos de plus qu’à l’ordinaire, prête à retomber lamentablement en avant à la seconde même où elle cesserait d’y faire attention. Ce qui ne devait pas arriver. Hors de question d’accroître encore l’impression de faiblesse que sa situation pouvait donner – et qui n’était, à sa plus grande rage, pas uniquement une impression. Encore moins face à Reinhard qu’elle s’était juré d’abattre, réparant l’erreur qu’elle avait commise au Mirador en ne pressant pas immédiatement la détente lorsqu’elle en avait eu l’occasion. Ou plutôt, en manquant sa cible, du moins, la blessant seulement là où elle aurait du la tuer sur le champ. Mais inutile de songer à ce qui s’était passé - qui était chose faite depuis longtemps – ou de prendre le temps de le regretter. L’action du Mirador n’avait été qu’un fiasco du début à la fin et, au point où elle en était, attachée sur cette chaise rudimentaire, elle savait qu’elle allait payer bien plus que la balle dans l’épaule dont elle avait gratifié Fehmer ce soir-là. Les intérêts lui avaient d’ailleurs déjà été réclamés, à coup de gifles dont la brûlure ne semblait jamais vouloir cesser, se muant peu à peu en un migraine qui pouvait presque se lire à la teinte livide de ses traits rougis. Et peut-être bleuis, déjà, là où les coups les plus rudes étaient tombés. Et si elle s’était farouchement gardée d’exprimer la moindre réaction, de laisser échapper le plus léger soupir, Elsa n’avait pu que sentir, insidieusement, ses forces s’étioler au fil des interrogatoires. Elle avait beau l’avoir relevée fièrement, droite et glaciale à l’entrée de l’officier, la jeune femme savait qu’elle ne pourrait éternellement conserver toute sa tête – ce sang-froid, derrière lequel elle se protégeait tant bien que mal.

Mais apparence, au moins, elle ne faiblissait pas. Ou presque. Ainsi, ses prunelles impavides, quoique troublées de cette sourde rage qui ne la quittait pas, ne cessèrent de fixer Reinhard, le dévisageant sans la moindre once de gêne. Lui non plus n’était pas au meilleur de sa forme. L’air distant qu’il arborait ne la laissait pas dupe. Derrière le masque, elle devinait aisément les traits tirés, pâles et les cernes un peu trop marquées qui soulignaient ses yeux. Elle le savait, elle n’était pas la seule à vivre des pénibles heures, comme il le lui avait si bien fait remarqué, il lui semblait des siècles plus tôt. Mais la douleur qui tiraillait sa tête lourde n’avait sans doute rien à voir avec ce qui faisait de ces jours de sombres instants pour le jeune homme. Si elle ne s’était pas une seule fois posé la question du lien qui l’unissait à Caroline avant ce qui s’était passé rue de Lappe, jugeant cela sans importance, Elsa n’avait que trop eu le temps de s’y attarder durant les interrogatoires déjà subis. Oublier les coups, s’extraire de l’instant présent, occuper ses pensées avec des questions autres que celles qui pouvaient bien lui être posées.

Les autres membres de la brigade avaient-il récupéré Marcel, dont elle ignorait comment il avait pu éviter de terminer de la même façon qu’elle ? Avaient-ils commencé à évacuer tout ce qui se trouvait chez la jeune chef, dans le cas où elle ne pourrait retenir indéfiniment les informations qui lui étaient rudement demandées ? Comment avait-ils réagit ? Edouard, Emile, Caroline.. Caroline qui pensait ignorer tout de l’homme responsable de cette arrestation quand elle avait bien failli se donner la mort pour le sauver, il y avait de cela bien longtemps maintenant. Ou peut-être pas. Le temps échappait à la jeune rousse comme si, au fond de cette cave lugubre, il n’avait plus la moindre prise. Ni sur elle, ni sur les hommes dont les coups pleuvaient, pas plus que pour cet officier qui, sans doute, ressassait encore la mort fictive de la danseuse. Mort qu’Elsa ne comptait absolument pas démentir. Malheureusement, elle ignorait encore que les évènements s’en chargeraient largement pour elle. Et que la spirale à laquelle elle avait voulu mettre fin par ses mensonges recommencerait. Et pourtant, ce ne serait pas faute d’avoir fait durer l’illusion.

« Cesse donc tes sarcasmes, veux-tu, ce n’est que du superflus et ça ne te mènera nulle part ailleurs qu’à des souffrances supplémentaires, Elsa. »
A sa première provocation, Fehmer répondit sur un ton morose, par des paroles qui arrachèrent un rictus cynique à la jeune femme. Il le savait, elle n’avait absolument rien d’autre à lui dire – ou du moins, ne comptait pas lui dire – autre chose. Les mots, ces petites répliques acides étaient tout ce qu’il lui restait, et surtout ce qu’elle était encline à prononcer quand bien même céder et révéler les informations qu’il désiraient lui éviterait « des souffrances supplémentaires » comme il le disait si bien. Intense, un éclat brilla dans ses prunelles azures, indéfinissable. De cela, elle n’en avait plus peur. Ou alors, elle le dissimulait à merveille. Elle ne lui donnerait pour rien au monde la satisfaction de la voir appréhender ce qui allait lui arriver, tout comme elle tentait tant bien que mal de réprimer toute marques de douleur. Envers et contre celle, inlassable, qui lui vrillait le crâne. Volonté inébranlable qu’elle traduisit par sa remarque sur le fait qu’il perdait son temps. Oui, il le savait C’aurait été mal la connaître que de penser qu’elle craquerait aussi facilement que les personnes l’ayant aidé à la trouver. Car la rousse n’était pas idiote, seul un membre de la brigade avait pu lui communiquer l’heure et le lieu du rendez-vous de la rue de Lappe. Membre apparemment pas aussi convaincu que ce qu’il voulait bien le faire croire de son attachement à la résistance. Mais de là où elle était, que pouvait bien faire Elsa sinon se promettre de lever le masque, si l’occasion lui était donnée ? Ce qui, là, retenue à cette chaise de métal, entourée de ses geôliers, lui semblait absolument improbable.

« Du temps ? J’en ai à revendre, si tu savais ! répliqua Fehmer, à peu près aussi sarcastique qu’elle avait pu l’être. »
Faisant un brusque effort pour tenir droite cette tête qui n’aspirait qu’à retomber, la jeune femme se laissa de nouveau aller à un rictus. Elle n’avait plus la force de rester glaciale, de se contenter de serrer les lèvres et de laisser les minutes passer. Le cynisme profondément noir dont elle pouvait faire preuve ne lui servirait pas plus que d’essayer de dénouer les liens qui enserraient ses poignets ou de se débattre pour s’en dégager, mais peut-être avait-il au moins la vertu d’évacuer quelques brins de cette rage qui ne la lâchait pas depuis qu’elle s’était faite arrêtée.
« Ce qui n’est pas mon cas, répliqua-t-elle toujours sur ce ton sifflant qui ne dissimulait plus tout à fait de ce qu’elle pouvait avoir de ressentiment contre l’allemand. »
Non, du temps, elle n’en avait pas à perdre. Du moins, elle n’en aurait pas eu si elle n’était pas aussi stupidement tombé entre les mains de Reinhard.
« Et tout ça ne te servira strictement à rien, fit-elle en désignant d’un geste de la tête – douloureux – la salle et les objets se trouvant autour d’elle. »
Mais elle ne dirait rien, torture ou non. Alors, quitte à ce qu’il lui ai mis la main dessus, mettant ainsi un terme définitif à toutes ses actions, autant ne pas s’attarder sur les étapes inutiles que constituaient les interrogatoires. Puisqu’au bout du compte, qu’elle parle ou non, le résultat serait le même. Elsa ne se faisait aucune illusion. Elle ne passerait pas plus de temps en prison qu’il n’en faudrait pour signer les papiers autorisant une exécution. Et tant mieux, autant en finir rapidement. Et cesser de perdre d’inutiles heures en conversations bloquées d’avance, sans issues intéressantes ou convenables.
« Même si je peux comprendre que tu ais tout ton temps, maintenant que tu n’as plus une Caroline à laquelle faire la cour, conclu-t-elle, glaciale. »
Ce qui était le pire, de ses paroles ou de son ton froid, comme si la chose lui était totalement indifférente, impossible de le définir. Mais une chose était sûre, c’était brutal. Elle mesurait parfaitement la portée de ses mots, et savait à quoi elle s’exposer en agissant ainsi. Du moins, elle s’en doutait ; comment être certaine qu’il pouvait être touché par la soi-disant mort de la danseuse ? Le cynisme lui avait échappé, simplement, trahissant ainsi que son sang-froid commençait à la quitter.
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MessageSujet: Re: « La prochaine fois tu peux être certaine que je ne te manquerai pas ! »   « La prochaine fois tu peux être certaine que je ne te manquerai pas ! » Icon_minitime1Mer 18 Aoû - 3:34

La tête d’Elsa semblait devenir de plus en plus lourde au fur et à mesure que les minutes passaient, coutume que l’on observait très souvent chez les détenus soumis à de telles séances intensives de maltraitance. Cela n’avait rien d’un phénomène à soumettre aux plus grands médecins, il ne fallait pas être un scientifique pour deviner que c’était le choc des coups reçus qui provoquait une fatigue, et forcément, au bout d’un certain temps, la tête s’engourdissait un peu, lancinante comme pendant une grosse migraine, et devenais plus lourde à supporter pour la personne heurtée. Bizarrement, tous les témoins ne réagissaient pas de la même manière. Certains étaient plus résistants, plus coriaces, alors que d’autres ne supportaient que trop mal la douleur et finissaient par parler dès les premières vagues d’afflictions. Mais Elsa Auray ne nous ferait pas le plaisir de parler au bout de quelques minutes, non, la jeune femme rebelle et têtue persévérait dans ses convictions personnelles. Qu’attendait-elle, au juste ? Que quelqu’un surgisse de nulle part, de l’inattendu, et vienne la sauver ? C’était un espoir totalement… inespéré, si l’expression est accordable. Nous étions actuellement dans les bureaux les plus isolés de l’enceinte du bâtiment de la Gestapo, les vieilles caves sombres et humides qui avaient spécialement été aménagées pour faire « parler » les gens en utilisant la terreur et la violence. Je me rappelais la première fois que j’avais visité les locaux, j’avais descendu les premières marches, impatient de découvrir ce que les supérieurs hiérarchiques avaient bien pu nous accorder comme pièces. Au début, j’avais trouvé cela trop grand, mais au final j’étais bien content que le tout soit aménagé dans ces locaux, car cette immense pièce était vide, totalement, à l’exception d’une unique chaise placée en son centre. Vous voyez où je veux en venir ? Et bien, aussi machiavélique que cela puisse paraître, les échos retentissent mieux dans ce genre de lieu. Je n’en dirai pas plus, vous avez compris.

Les prunelles de la jeune rousse me dévisageaient toujours avec autant d’application. Comme si elle espérait qu’en un regard, elle puisse me faire changer d’avis. Mais mon avis était tout fait, et puis, contrairement à ce cher Etienne, je savais que j’étais prêt à endurer toutes les souffrances physiques du monde pour défendre ma patrie, et mes opinions. Ce n’était réellement pas de chance, d’ailleurs, parce que fraulein Auray était exactement du même acabit. Dans le fond, nous étions tous à mettre dans le même sac, que ce soit aussi bien les allemands que les français, nous étions tous prêts à nous battre pour notre patrie, pour notre honneur, pour ce qui dans la guerre constituait encore notre fierté. Celle des Allemands grandissait petit à petit avec l’occupation qui était un succès, découvrant encore quelques failles cependant, mais la France s’était trouvée blessée dans son orgueil. Et c’était sans doute ce sentiment de frustration qui faisait que quelques personnes survoltées veuillent une revanche, quelle que soit la forme qu’elle prendrait. Chasser l’ennemi, voilà. Une chasse, nous n’étions plus condamnés qu’à être de vulgaires prédateurs à l’affût d’un gibier.

Je sentais le regard glacial d’Elsa posé sur moi, mais je n’en étais pas perturbé pour autant. Regarder l’ennemi bien en face était l’une des choses que l’on m’avait aussi enseignées, au cours de ma formation militaire. Ne pas flancher au cours d’un interrogatoire était primordial, car dès l’instant où vous quittez l’autre des yeux en les baissant, ce dernier ne cessera de croire qu’il peut avoir le dernier mot, ce qui est extrêmement rare dans ce genre de cas, pour peu que les officiers soient bien entraînés. Ainsi rendis-je à ma cible favorite ce regard hautain, impétueux et sur un ton de défi qu’elle me lançait depuis le début de « l’aventure ». Après toutes les péripéties qui venaient de m’arriver, de nous arriver à vrai dire, je pouvais encore regarder celle pour qui j’avais cette profonde aversion, droit dans les yeux, et je pouvais y lire tous les reproches du monde. Qu’attendait-elle pour cracher son venin, elle qui me détestait tant ? Pourtant, elle restait courtoise, même encline aux sarcasmes, et elle faisait comme si de rien n’était. Pensait-elle sans doute me troubler, me tromper ? Détourner l’attention, auquel cas elle risquait de se prendre quelques paires de baffes relativement costaudes supplémentaires. Elle répondait toujours par un visage immuable à mes paroles, et même aux gestes que je pouvais avoir, bien qu’aucun jusqu’à présent ne lui portait grand préjudice - mais je la vis esquisser tout de même un léger rictus. Est-ce que c’était un tiraillement de douleur, ou une réaction qu’elle contenait qui ressortait sur ses lèvres ? Je l’ignorais, et pour ainsi dire, je ne voulais pas le savoir. Aucune importance.

J’avais du temps à revendre, je n’étais pas très occupé ailleurs que sur cette « enquête », de toute manière. Mais la meneuse assise en face de moi prétendait que ce n’était pas son cas. À quoi occuperait-elle son temps, de toute manière, si je la laissais s’en aller ? Elle ne ferait qu’échafauder des plans pour faire tomber les institutions germaniques, et saboterait encore des lignes de ravitaillement, des bateaux, chemins de fer, cargos et autres wagons et fourgonnettes chargées pour l’artillerie allemande. Une épine dans le doigt, voila ce que les résistants étaient pour nous. Le temps que nous nous débarrassions d’eux, que l’on répare les dégâts, et tout repartait jusqu’à la prochaine épine. Et au bout d’un moment, il faut bien remonter aux sources. Elsa, en l’occurrence.

« Tout ça ne te servira strictement à rien. », avait-elle dit en désignant d’un signe de tête démonstratif la salle, ainsi que tous les ustensiles et autres pistolets des soldats bouclés à leurs ceintures. Où voulait-elle en venir ?

« Même si je peux comprendre que tu aies tout ton temps, maintenant que tu n’as plus une Caroline à laquelle faire la cour », lança-t-elle, cinglante.

Comment avait-elle pu oser dire une chose pareille ? Je ne réfléchis pas, sur le coup, quand ma main partit à toute vitesse claquer sur la joue de la jeune femme. J’y avais mis pas mal de force, même si j’étais persuadé que j’aurais pu lui faire pire. Sa tête vacilla sur le côté, et je sentais une pression sur mes tempes, sans doute les nerfs qui étaient monté plus vite que prévu. Mon sang n’avait pas eu le temps de faire un quart de tour dans mes veines que j’étais déjà en train de la punir pour ces atroces paroles qu’elle osait dire. Qui plus est, Caroline était son amie, elle aussi, comment pouvait-elle parler d’elle en ces termes ? Comment pouvait-elle ne rien laisser paraître sur son visage qui se réjouissait de lancer des piques, même concernant l’une de ces amies défuntes ? Elle était donc plus inhumaine encore que je n’aurais bien pu me l’imaginer en la voyant, toujours impénétrable, telle une statue de marbre qui ne se laisse pas facilement duper. Accompagnant mes paroles d’un index brandit d’un air avertisseur, je tentais de reprendre mon sang froid mais mes poumons expiraient si fort qu’une sorte de fumée métaphorique semblait vouloir m’empêcher de m’exprimer d’une voix calme.

« Je t’interdis de la mentionner, ça n’a rien à voir avec tout cela ! », la menaçais-je.

J’étais révulsé, je ne comprenais pas comment elle trouvait l’audace de parler de son amie comme si… Comme si quoi, d’ailleurs ? Comme si elle faisait encore partie du présent, ou comme si sa mort ne l’avait pas plus affectée que cela, que cette situation - comme bien des autres à ses yeux - la plongeait dans l’indifférence la plus totale. Je ne pouvais le concevoir, c’était insensé. Je pensais avoir tout vu en ce qui concernait les personnages cruellement dépourvus de sentiments, mais Elsa Auray ouvrait une nouvelle porte sur le monde des insensibles que je ne connaissais pas encore. D’un point de vue extérieur, rien ne servait peut-être de la frapper, en fin de compte, car elle était morte. Elle, ce petit bout de femme à la chevelure de feu et au teint d’albâtre, qui aurait certainement été sympathique dans une autre vie, à une autre époque, j’étais persuadé qu’elle n’avait pas toujours été ce qu’elle était à présent. Elle qui semblait se dégrader petit à petit, tel un automate cadavérique, dépourvu de sentiments.. J’ignorais alors, aujourd’hui, qu’une morte puisse porter en elle la vie.



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MessageSujet: Re: « La prochaine fois tu peux être certaine que je ne te manquerai pas ! »   « La prochaine fois tu peux être certaine que je ne te manquerai pas ! » Icon_minitime1Mer 18 Aoû - 16:38

Elle le savait, elle s’en doutait, parler de Caroline devant lui, et surtout en ces termes, était toucher une corde sensible. Un autre qu’Elsa, s’il avait voulu s’épargner d’énièmes gifles et autre coups du même acabit, aurait sans doute parlé de la jeune femme certes, mais pour annoncer à Reinhard qu’elle n’était pas plus morte que lui. Qu’alors qu’il s’était enfui – sans que l’arme de la jeune rousse braquée sur lui ne lui ai laissé d’autre choix, certes -, un jeune médecin hongrois embusqué à quelques mètres de la chambre où la scène s’était jouée était intervenu à temps pour empêcher l’irrémédiable, lutter contre un acte que la danseuse avait certainement murement réfléchi. Elsa le revoyait sans mal, à l’arrière de la vieille voiture de Loïc, s’acharnant à stopper les filets rouges qui s’échappaient des tempes de Caroline, se servant de tout et n’importe quoi, le moindre objet utile lui passant sous la main, jusqu’à un morceau de ses propres vêtements arraché à la hâte. Heureusement qu’en plus de lui apprendre à tirer, son père avait initié la rousse à la conduite – âge légal ou non. Si Edouard avait été obligé de les ramener, qui pouvait seulement se douter de ce qu’il serait advenu de la blessée qu’ils transportaient ? Sans doute Fehmer ne se tromperait-il pas. Sans doute serait-elle morte à l’heure qui était sans les soins attentifs, efficaces et rapide dont le médecin de l’Est l’avait entourée. Et jamais qui que ce soit n’aurait eu la possibilité de tenter de s’en sortir en révélant à l’allemand que, bien que toujours convalescente, elle était belle et bien vivante.

Comme réagirait-il ? C’est une question qu’Elsa n’alla même pas jusqu’à se poser. Les tiraillements douloureux qui l’engourdissaient peu à peu, insidieusement, et le manque de sommeil auquel les interrogatoires et les coups l’empêchaient pourtant de céder ne lui en laissaient absolument pas la possibilité. Peu importait. Il la traquait depuis trop longtemps, avait trop d’intérêt à la faire parler et sans doute une aversion trop profonde à son égard pour que le fait que la jeune femme soit vivante ou non ait une quelconque influence sur ce qui se passait et se passerait dans cette cave. Et quand bien même, elle ne dirait rien. Grand bien lui en fasse – ou plutôt grand mal. De toute façon, le SS découvrirait très bien la chose, sans qu’elle n’ait eu besoin de prononcer la moindre parole, puisque tout semblait s’être décidé, depuis quelque temps, à la contredire. Elsa avait beau la savoir parfaitement en vie, elle ne s’attendait pas plus que lui à voir Caroline débarquer. Ni elle, ni personne. L’expédition était bien trop risquée pour que les autres membres de la brigade ne tente quoi que ce soit, et ils en avaient parfaitement conscience. Du moins, elle l’espérait. Les bureaux de la Gestapo n’avaient rien d’un minable petit commissariat auquel il suffisait de dérober quelques informations pour se donner toutes les chances de sortir un prisonnier. Lorsque l’on entrait ici, à moins de porter un uniforme nazi, on en ressortait pas. Ou alors en fourgon, direction la prison la plus proche. Oui, à moins de porter un uniforme nazi…

C’est forte de cette conviction – si on pouvait le dire – qu’Elsa avait dardé sur le jeune homme ses deux prunelles à la fois intensément noires et glaciales. Peu à peu, au fil des minutes qui passaient, la douleur prenait le pas sur la colère et la volonté qui la tenaient plus ou moins débout – enfin, assise. Sans doute, en cet instant, pouvait-on dire qu’elle le haïssait, elle que les gens laissaient mortellement froide. Elle le haïssait, au même titre qu’elle détestait cette situation de faiblesse dans laquelle elle se trouvait. Dans laquelle il l’avait mise. Là, solidement liée à cette chaise de métal qu’elle abhorrait, au milieu de cette immense pièce vide où résonnait démesurément le moindre bruit, à devoir fournir de violents efforts pour garder la tête haute, sans doute ressentait-elle à peu près la même chose que lui, lorsqu’elle s’était dressée devant lui, gisant lamentablement sur les moquettes souillées du Mirador. A la différence qu’ici, Fehmer la maintenait en vie pour la faire parler alors qu’il n’avait échappa que de justesse à la mort, la rousse n’ayant absolument rien à lui faire dire. Dire qu’elle avait jugé ses soupçons trop incertains, ce jour-là, au commissariat, allant même jusqu’à prendre un café avec cet homme. Cet homme dont les bottes, au moindre de ses pas, claquaient sèchement, résonnant avec écho dans la pièce lugubre, vrillant immanquablement son crâne douloureux. Lancinant. Les poings crispés, raide, Elsa écumait. Cette image, il avait tant été hors de question de la montrer. Surtout pas à lui. Et encore, si à ce moment, elle avait seulement pu imaginer de quelle façon il la reverrait…

A ses paroles cinglantes, la réaction de Fehmer ne se fit pas attendre. Violente, la gifle claqua, envoyant un instant sa tête tomber sur le côté. Un soupir – pas de gémissement, encore moi de cri – rauque échappa à la jeune femme, assortit d’une grimace qu’elle ne pu réprimer, cette fois. La première. La douleur claqua, elle aussi. La brûlure mordante enflamma sa pommette, encore. Une gifle, ça n’était rien qu’une gifle, pourrait-on penser. Une énième gifle. Et il fallait se rendre à l’évidence, aussi impavide soit-elle, elle ne pouvait tenir éternellement. Pas quand les interrogatoires se succédait, que le sommeil et l’inconscience lorsqu’elle était en cellule la fuyaient.
« Je t’interdis de la mentionner, ça n’a rien à voir avec tout cela ! »
Les paroles de Reinhard, son ton saccadé par la fureur résonnèrent désagréablement au dessus d’elle. Pourtant, elle ne mit pas un instant à réagir à son tour. Une réaction que jamais elle n’aurait imaginé avoir. Brusquement, redressant la tête, elle laissa échapper un éclat de rire. Une quinte de rire, serait un mot plus approprié. Un quinte de rire à la fois cynique, mauvais et douloureux. Une hilarité étrange, nerveuse, uniquement nerveuse dont elle fut secouée un instant avant de planter deux prunelles assassines, profondément menaçantes dans celles de l’allemand. Elle s’arrêta net, dans ses éclats, ses traits se crispant presque violement, glacials.
« Je me fou totalement que ça ait quelque chose à voir ou non, lâcha-t-elle sur une voix vibrante de colère, à son tour. »
L’index de l’allemand pointé sur elle l’indifféra totalement, ainsi que son ton menaçant. Ce qui venait de se passer aurait sans doute du la faire taire, lui faire ravaler sarcasmes et cynisme, mais c’était sans compter sur cette rage qu’elle contenait depuis bien trop longtemps. Il l’avait touchée. Il l’avait giflée. Elle l’en aurait tué. Sur place.
« Sois sûr d’une chose, continua-t-elle sur un ton toujours aussi vibrant, sourd et sifflant, Caroline n'a peut-être pas pu te tuer, mais la prochaine fois, Fehmer, je m'en chargerais moi-même. Et je ne te raterais pas. »
Le sous entendu était plus que clair. A peu près autant que la menace, et peu importait le fait qu’elle semble incongrue, au regard de la situation. Elle avait envoyé Caroline le tuer, mais elle se contrefichait qu’il comprenne ou non. Une fois de plus, les mots lui avaient échappé, mais sa colère, cette fois, les avait presque calculé.
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MessageSujet: Re: « La prochaine fois tu peux être certaine que je ne te manquerai pas ! »   « La prochaine fois tu peux être certaine que je ne te manquerai pas ! » Icon_minitime1Jeu 19 Aoû - 16:21

Il y avait des sujets qui, parfois, étaient sensibles. Ce n’est sans compter le tact avec lequel la jeune rousse mentionnait devant moi sa défunte amie - et j’ignorais encore à cette heure-ci qu’elle n’était pas véritablement morte, Caroline - qui ne manquait pas de me mettre les nerfs. Je ne devrais pas m’emporter, pourtant, je savais qu’Elsa s’engageait sur ce sujet pour faire monter la pression, pour tenter de me toucher personnellement, pour le simple et pur plaisir de faire mal, de toucher un point sensible. Elle n’y manqua pas, d’ailleurs, si c’était son but elle l’avait très vite atteint. Mais je ne devais pas me laisser intimider, et certainement pas par une personne attachée sur une chaise qui s’ébranlait, les deux mains liées dans le dos. La résistante était loin d’être en position de force, et cette fois aucune balle dans l’épaule n’allait pouvoir la sauver. Rendez-vous compte, elle était à la merci des allemands, elle qui essayait de les faire tomber au quotidien. Quel effet cela te fait-il, Elsa, de réaliser que tes camarades ne sont pas derrière toi aujourd’hui ? - J’ignorais que quelqu’un de son entourage avait vu la scène de son arrestation, pourtant, mais je ne doutais pas que toute son équipe devait déjà être au courant. Les groupes de résistants étaient comme un petit village, une communauté réduite, dont les commérages seraient en fait les comptes rendus de ce qu’il se passe, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur. Des villageois - des tares, des paysans - bienheureux qui prenaient plaisir à venir s’amuser dans la cour des grands. Car à leurs yeux, tout ce qui porte un uniforme allemand est forcément méchant.

Ils ne savaient pas à quel point ils se trompaient. Certes, je n’étais pas un exemple qui démantèlerait les préjugés, parce que je n’étais pas un ange, mais comme beaucoup de soldats j’avais un cœur, moi aussi. Combien d’entre eux étaient pères, déjà ? Combien avaient reçu une lettre de convocation sur le front, à votre avis ? Nous n’avons jamais voulu nous propulser au rang d’ennemis, nous ne faisions qu’obéir aux ordres de nos supérieurs, et de servir notre patrie du mieux que nous le pouvions. Beaucoup d’entre les soldats pensaient qu’ils faisaient bien, et beaucoup se trompaient, mais quel pourcentage d’entre eux pouvaient prétendre ne pas aimer sa nation ? Le culte de la terre, nous y répondions tous, pour la plupart. Ce territoire qui nous a accueilli dès notre naissance, auquel nous nous sentions rattachés. Il en allait de même pour les résistants, sauf qu’eux aimaient parfois une terre qui n’était pas la leur. Quelques immigrés rejoignaient les patriotes, devenant saboteur. Pourquoi ? Pour aider, par simple esprit fraternel. Sauf que dans une guerre, nos frères se font décimer, nous prenions chaque jour le risque de tout perdre. Car celui qui n’a plus rien, n’a plus rien à perdre. Et c’est ainsi que naissent les combattants les plus coriaces, les plus durs, les plus extrémistes, les plus méchants. Les plus inhumains.

Elsa Auray, derrière ses traits qui au quotidien ne montraient aucune douleur, aucun aperçu de ce qui se tramait dans ses sentiments, était l’une de ses combattants. Je n’imagine pas quels dégâts elle aurait pu faire si elle avait été de l’autre côté, car c’était une adversaire hors pair, il fallait bien se l’avouer. Je ne lui lançais pas d’éloges, bien au contraire, car de ma position elle était tout de même une récalcitrante à réprimander, une pénible de première. Mais quelle soldate titanesque elle faisait. Ses petits camarades avaient de la chance de l’avoir, et notez bien ici l’emploi de l’imparfait. Que deviendraient-ils sans elle ? Je n’aurais hélas pas le temps de le constater, car son équipe ne tarderait pas à venir récupérer la reine des abeilles, et je ne m’attendais alors pas le moins du monde à ce à quoi j’aurais à faire face. Je compris à quel point elle pouvait être tranchante quand elle me répondit qu’elle se fichait que Caroline - paix à son âme - n’ait rien à voir avec tout ça. Je le prenais comme une manière détournée de dire qu’elle se fichait de la mort de son amie, à vrai dire. Comment pouvait-elle prétendre cela ? Après tout, c’était de notre faute à tous les deux, si elle s’était donné la mort, non ? Si les choses avaient été plus simples, elle aurait sans doute vécu. Je regardais la rousse avec des yeux écarquillés et une moue désabusée sur les lèvres - voir un aperçu -, éberlué par ce qu’elle affirmait. Ce n’était pas sans compter l’atrocité des paroles qui sortirent de sa bouche, comme un venin empoisonnant. Langue de vipère.

« Sois sûr d’une chose, Caroline n’a peut-être pas pu te tuer, mais la prochaine fois, Fehmer, je m’en chargerai moi-même. Et je ne te raterai pas. », persifla-t-elle.

Étais-je certain d’avoir bien entendu ce qu’elle venait de prétendre ? Qu’entendait-elle par « Caroline n’a peut-être pas pu te tuer » ? C’est alors qu’un engrenage infernal prit place dans ma tête, et je compris le fin mot de l’histoire. Elle avait tout manigancé, depuis le début. Ma mort avait été orchestrée, dans cette chambre du Lutécia. Caroline avait eu pour but de se tuer, mais au lieu de ça elle avait préféré se donner la mort. Elle avait donné sa vie pour en finir avec tout cela, et m’offrir une chance de m’enfuir et d’échapper au trépas, une nouvelle fois. Des larmes montèrent à mes yeux, mais ce n’étaient pas des larmes de peine, non, c’était de la colère. Une colère qui me rongeait si fort qu’elle allait m’étouffer. D’un geste vif, ma main empoigna le col de la jeune femme, et je la tirai si brutalement vers moi d’un air menaçant que la chaise décolla avec elle. Je la tenais fermement, en l’air, fulminant.

« Tu l’as tuée, tout ça c’est de ta faute ! », détonnai-je, la voix saccadée de colère et de dégoût, sous-entendant qu’elle avait achevé son amie de manière indirecte.

Elle n’avait pas idée du degré avec lequel je la méprisais, j’aurais voulu la voir morte. J’aurais aimé qu’elle fusse à la place de Caroline, qu’elle périsse à mes pieds et que comme elle, je porte sur son cadavre un air dédaigneux et indifférent. Je voulais qu’elle souffre, ô ça oui, je voulais qu’elle connaisse une énième douleur avant de rendre son dernier souffle. Je me rendis compte, alors, que les soldats qui surveillaient n’étaient pas aux faits de ma relation avec l’ancienne danseuse, une résistante qui plus est. Personne ne savait que j’avais des sentiments pour elle au sein de l’office militaire germanique. Ils ne devaient sans doute pas comprendre pourquoi je m’emportais vis-à-vis de la mort d’une jeune femme, alors que je côtoyais la mort relativement souvent et de manière imperturbable. Mais aucune des personnes présentes ne posa de question, ils observaient tous la scène d’un œil curieux, et sérieux. La plupart d'entre eux ne parlaient et ne comprenaient pas correctement le français, mais ils s’attendaient peut-être à ce que je l’achève de mes propres mains, tout de suite, en l’étranglant, mais non. Pas encore, pas comme ça, elle n’avait pas assez souffert, et ne souffrirait jamais assez. Violemment, je la rejetais à terre, et la chaise bascula, la renversant. Elle était couchée au sol, à présent, souffrant sans doute d’une contusion supplémentaire que je venais de provoquer.

« Ton insolence te tuera, Elsa. », dis-je d’un air hautain, méprisant.

Je tournais ensuite le visage, portant ma main sur ma mâchoire d’un air résigné. Je déglutis, sentant la salive m’écorcher la gorge, une chose était certaine : je n’allais pas digérer le coup. Ma haine envers la résistante Auray venait encore d’augmenter d’un cran, et avait atteint son summum, son apogée. Nous étions au paroxysme de l’inimitié, de l’aversion. Un des soldats que je connaissais bien, nommé Theodor, s’approcha de moi et posa une main hésitante sur mon épaule.

« Ich kann Nachfolge antreten, wenn Sie wollen. », me proposa-t-il.
VF : Je peux prendre la suite, si vous voulez.

« Nein, danke. Das wird gehen. », le congédiais-je en le remerciant, d’une voix déterminée.
VF : Non, merci. Ça va aller.

Je repris un instant mes esprits, et vis un petit objet argenté luire sur le sol malgré l’obscurité. Je me baissais et m’emparais de la chose, qui s’avérait être un harmonica. Celui d’Elsa, sans aucun doute. J’observais attentivement l’instrument, jouant en le tripotant quelques secondes sans pourtant tester la qualité du son - je ne voulais pas poser mes lèvres là où un monstre les avait posées auparavant - avant de le poser négligemment sur la table à côté. Je reportais mon regard sur Elsa, à terre, que je regardais de haut, droit dans mes bottes, la surplombant de toute ma hauteur. Qu’allait-elle bien pouvoir dire, maintenant ? Allait-elle encore oser me défier en touchant mes points sensibles ? Sans doute n’en avait-elle pas encore assez, pas à mes yeux, en tout cas. Elle ne semblait pas craindre la mort, pourtant il n’y avait pas que sa vie qu’elle devait protéger désormais, elle ne pouvait pas se permettre de la mettre en jeu ainsi.



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MessageSujet: Re: « La prochaine fois tu peux être certaine que je ne te manquerai pas ! »   « La prochaine fois tu peux être certaine que je ne te manquerai pas ! » Icon_minitime1Ven 20 Aoû - 2:35

Elle le haïssait. Et pour une fois, il n’était absolument pas difficile de le lire sur son visage. Ses traits crispés par la douleur, glacials, ses prunelles dardées sur lui, tellement assassines que leur bleu si intense semblait s’être assombrit, la moue rageuse de ses lèvres légèrement fendues… tout l’indiquait. Et la réciproque était au moins aussi vraie, si ce n’était plus, alors qu’elle le provoquait au sujet de la femme qu’il pensait avoir vu mourir à ses pieds. Le blesser. Lui faire mal, et même si cela devait faire pleuvoir les coups. Dans la pièce, la tension était brusquement montée d’un cran. Les soldats allemands postés à un coin de celle-ci pouvaient-ils la sentir, cette sourde haine qui dépassait largement celle que le torturé pouvait vouer à son tortionnaire, et inversement ? L’ambiance à la fois lourde et électrique, lugubre dans cette immense cave de la gestapo, n’en était que le trop palpable témoin, même pour qui ne pourrait comprendre un traître mot à ce qui se disait. Oui, elle le haïssait. Comme elle ne le faisait que de peu de gens. Que d’une personne, excepté lui. Et s’il y avait longtemps qu’Elsa considérait qu’il était aussi inutile qu’idiot d’avoir pour la plupart des autres plus qu’une froide indifférence, sa rancœur – lorsque rancœur il y avait – n’en devenait que plus mortelle. Et celle qu’elle vouait à Fehmer, là, attachée sur cette sordide chaise, avait plus que largement atteint ce stade. Une chose était certaine, si elle en venait, par elle ne savait quel nouveau coup de théâtre, à sortir de ce caveau vivante, elle n’hésiterais pas à lui mettre entre les deux yeux cette balle qui n’avait fait que lui trouer l’épaule.

Mais la jeune femme était loin, très loin de se faire des illusions. Combien avaient déjà périt dans cette immense pièce, avant même d’avoir eut à passer par les geôles miteuses de la prison ou voir le poteau d’exécution ? De mourir sous la torture, de faim dans une cellule ou lamentablement fusillé, quel était le pire ? Elsa, malgré elle, eut une pensée pour Marc. Une balle. Une balle et tout avait été terminé. Il était mort à l’action, d’un coup de feu lancé à la volée, surpris, imprévu. Il n’avait pas eu à passer ces heures, celles qu’elle vivait alors – si tant est que l’on pouvait utiliser le verbe « vivre » - où l’on ne faisait que vous faire mourir à petit feu, pitoyablement, d’une façon toute calculée, sous les regards hautains et satisfaits de quelques officiers là pour se nourrir de vos souffrances. Au fond, peut-être valait-il mieux que, pour lui, tout se soit fini sur ces rails plutôt que sur ce foutu siège sur lequel elle devait fournir des efforts de plus en plus violents pour se maintenir plus ou moins droite. Pitoyable, oui, c’était le mot. Un instant de déconcentration, de relâche sur la lutte qu’elle menait avec son propre corps, et elle en serait l’image parfaite. Or, il n’en était pas question. Elle ne ferait pas ce plaisir à Fehmer, ni à n’importe lequel des autres soldats présents dans cette pièce. Si elle devait mourir ici, tant pis. Mais elle ne se laisserait pas aller, raison pour laquelle elle se donnait tant de mal à conserver cette expression glaciale, malgré le teint à la fois livide et rougeâtre que ces dernières heures lui avaient donné.

Raison pour laquelle elle ne se taisait pas. La question de savoir si oui ou non Reinhard avait compris ce que sous entendaient ses paroles ne se posa pas longtemps. Ses prunelles noires vrillées sur lui, toujours ce rictus cynique fixé aux lèvres, elle vit sans aucun mal son expression changer, se durcir brusquement, son regard briller. Ses mots avaient touché là où elle voulait faire mal. Mais si elle le comprit aux traits de l’allemand, elle ne tarda pas à en avoir la confirmation avec ses gestes. Brusquement, il attrapa le col de sa chemise et le tira brutalement vers lui. Fort. Assez fort pour que le corps d’Elsa ne puisse que suivre le mouvement, emportant même la chaise à laquelle elle était attachée. Là, à quelques ridicules centimètres de lui, le cou comme pris dans un étau par le tissu trop serré, elle serra les poings à s’en enfoncer les ongles dans la peau, mais ne baissa absolument pas les yeux, ignorant rage et douleur. Peut-être moins l’une que l’autre, au regard de l’expression clairement haineuse que prirent ses grandes prunelles.
« Tu l’as tuée, tout ça c’est de ta faute ! asséna le jeune homme qui venait de l’empoigner, fulminant littéralement, la voix hachée par la colère. »
Dans ses yeux, Elsa pouvait clairement lire le mépris, l’envie de la voir souffrir. Qu’il rejette sur elle le fait que Caroline soit morte – enfin, soi-disant morte – la laissa de glace. Il y avait une part de vrai, là-dedans. Mais quand bien même la danseuse ne se serait pas ratée, la culpabilité était un sentiment que la jeune femme avait depuis longtemps banni de ce qu’elle était encore capable de ressentir. Mais qu’il voie sa douleur, elle ne le concevait pas. Aussi, malgré elle, elle ne le quitta pas un infime instant des yeux, la tête plus droite que jamais.

Jusqu’à ce que, brutalement toujours, il ne la repousse. Avant qu’elle n’ai pu songer faire le moindre geste – pensée qui n’aurait de toute façon pas pu aboutir – elle sentit la chaise vaciller sur le sol, avant de basculer définitivement en direction de ce dernier. Violemment, Elsa heurta le béton froid de plein fouet, sentant une nouvelle fois la douleur exploser dans son crâne. Le dossier du siège de métal, auquel ses mains étaient attachées, alla durement entailler la peau de son poignet, mais c’est à peine si elle s’en rendit compte. Le sang se mit à lui battre aux tempes, insupportable, tandis que le choc lui sembla résonner démesurément dans la tête. Elle eut beau lutter, un gémissement lui échappa, bien trop parlant, trop explicite, mais que pouvait-elle y faire ? Elle ferma les yeux, écumant à la fois de rage et de douleur, incapable de faire le moindre geste tant les élancements de son crâne se firent intenses, l’espace d’un moment qui lui sembla durer des heures. Si sa chute, ou la chaise qui semblait peser maintenant lourdement, bien trop lourdement pour un simple siège, sur son corps inerte pouvaient avoir provoqué d’autres blessures, elle n’en eut absolument pas conscience durant les quelques secondes qui suivirent le choc.
« Ton insolence te tueras, Elsa. »
La voix de Fehmer, méprisante au possible, lui parvint dans un brouillard embrouillé qu’elle ne parvint à démêler immédiatement. Mais elle n’avait absolument pas besoin de comprendre le sens de ses mots pour que la rage, intense, brûlante, mêlée à la douleur ne lui arrache un nouveau soupir rauque, fulminant. Et cet élancement, violent, dans le ventre, qu’elle ne comprit pas.

Avec un brusque effort, elle redressa légèrement la tête, au moins autant qu’elle le pouvait dans cette position. Ses prunelles ne mirent pas longtemps à trouver celles du SS, noires au possible. Pouvait-elle le haïr plus que quelques instants plus tôt ? La chose paraissait difficile. Et pourtant. Elle serra les dents. Dieu qu’elle aurait voulu le voir mort, là, immédiatement. Pouvoir l’observer se tordre un instant à ses pieds, comme elle pouvait avoir l’air de le faire, avant de rendre son dernier souffle. Qu’il souffre ou non l’indifférait totalement. Mais une chose était certaine, même à l’agonie, si elle avait pu avoir accès à son revolver qui trônait sur la table, à l’un des coins de la pièce, elle l’aurait abattu sur le champ. Le voir mort. Tout ce qu'elle souhaitait.
« Avant ou après le peloton d’exécution ? lança-t-elle d’une voix éraillée, cynique toujours, en réponse à sa précédente réplique. »
Un rire, le même qu’un peu plus tôt sortit de sa gorge, plus rauque encore que le précédent. S’interdisant formellement de laisser sa tête retomber, malgré le poids qu’elle semblait encore avoir pris et les élancements, intenses, elle l’observa se pencher sur le sol. Là, quelque chose de gris brillait, quelque chose qu’elle mit un instant à reconnaître. Son harmonica. Son vieil harmonica, celui de son père, dont elle jouait, il y avait de cela un certain nombre d’heurse, sur un pont des Arts désert. Combien de temps ? Elle en avait perdu la notion dans ces locaux trop sombres et coupés de la lumière du jour.

Fehmer le ramassa. Elsa serra les dents. Il ne pouvait pas, n’avait absolument aucun droit d’y toucher. Le voir jouer négligemment avec, avant de poser les yeux sur elle ne fit qu’augmenter sa rage. Une moue haineuse qu’elle ne songea plus même à retenir, jurant avec l’expression glaciale du reste de ses traits, tordit un instant ses lèvres rougies. Encore une fois, de la même façon qu’il l’avait fait au Mirador, avant qu’elle ne manque de peu de le tuer, il se dressa au dessus d’elle, terriblement dominant. La rousse se débarrassa d’un mouvement de tête – désagréable – d’une mèche venue lui barrer les yeux.
« Tu me le paieras, Fehmer. Sa voix, pourtant vibrante, lui donna l’impression de venir de loin, trop loin à son goût. Profites, profites bien, parce que je te promets que tu regretteras amèrement ces moments. »
Menacer, c’était tout ce qu’elle était en mesure de faire. Le blesser, également. Bien qu’elle en ai déjà vu le résultat.
« Tu es autant que moi responsable de ce qui s’est passé, continua-t-elle. Et c’était vrai. Sans le fiasco du Mirador, la mort de Loïc, jamais tout ça ne serait arrivé. Pas à Caroline, du moins. Tu savais qui elle était, jamais tu n’aurais du la revoir, ça ne pouvais que se terminer comme ça. Tu le savais. »
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MessageSujet: Re: « La prochaine fois tu peux être certaine que je ne te manquerai pas ! »   « La prochaine fois tu peux être certaine que je ne te manquerai pas ! » Icon_minitime1Ven 20 Aoû - 15:08

Les roues de l’ambulance allemande sur les pavés irréguliers de Paris me maintenaient éveillée. Presque trois jours qu’aucun d’entre nous n’avait dormis. Cela se ressentait dans notre manière de nous parler, de nous comporter. La tension accumulée était presque palpable. Aussi, un silence de mort régnait dans l’habitacle. Depuis que Marcel avait déboulé, hors d’haleine, et complètement paniqué, le ban le bas de combat avait été décrété à la brigade. Elsa avait été arrêtée.

*Flashback, trente six heures plus tôt*

Malgré les recommandations de Edouard, et son « ordre » strict de rester au lit, je m’étais levée et avais recommencé à m’étirer. Des quelques choses qu’Elsa m’avait raconté sur mon passé, certaines m’étaient effectivement revenues. Je me rappelais bien Conches, et mes premières années à Paris. C’était le passé récent qui me faisait défaut. Parfois, j’essayai de me rappeler, mais la douleur, toujours, finissait par m’en empêcher, comme un rempart entre moi et mon passé. La brume finirait bien par totalement se dissiper. Il fallait juste un déclencheur, d’après mon médecin d’Europe de l’Est. Et cela n’allait pas tarder, mais personne ne pouvait le savoir pour le moment. Debout à côté de la commode, dont je me servais comme barre, en première position, j’enchainai les battements, pliés, demi pliés, bras couronnes, monté en demi pointe, et redescendais, avant de recommencer de l’autre côté et d’enchainer les cinq positions de la danse classique. Cela m’évitait de penser. De penser à ce rêve qui ne faisait que hanter mes nuits. Chaque fois, dans cette chambre, j’avais l’impression que j’allais comprendre quelque chose, quelque chose de fondamental, mais inévitablement, je me réveillais avant, avec un mal de crâne à hurler. Sans voir le visage de l’homme qui se tenait en face de moi. Mais était-ce réellement un rêve, ou alors un souvenir ? J’en venais à douter moi-même. J’allais enchainer la quatrième quand soudain, au rez-de-chaussée, une porte claqua violemment, suivis par des cris et de l’agitation. Au début, j’hésitais à descendre, mais devant la montée de la tension, je me décidais à quitter ma chambre.

Dans le salon, Marcel, rouge, essoufflé et paniqué, venait de s’écrouler sur l’une des chaises. Sophie était blanche à faire peur, Etienne était fermé comme une huitre, et Emile semblait près à céder à la panique.

-Qu’est ce que tu fais là ?, aboya Edouard à mon intention.

-Qu’est ce qui se passe ? demandai-je, inquiète, ignorant sa question qui signifiait clairement que je devais remonter dans ma chambre.

-Elsa a été arrêtée, lâcha Marcel

-Quoi ?

Lentement, alors qu’une des petites filles lui apportait à boire, le jeune homme nous raconta comment nous venions de perdre notre chef. A la lumière de ses paroles, il était évident qu’il y avait eut une fuite. Je sentis le sang déserter mon visage. Qui ? Qui avait bien pu nous trahir ?

-Il… Il faut la faire sortir !

Ce que je venais de dire était l’évidence même. Mais comment ? Tous, nous regardions Edouard. Après Elsa, il était le plus ancien de la brigade. C’était « normal » pour nous de le faire notre chef momentané. Il semblait en avoir conscience, car, les yeux dans le vide, il recherchait un plan. Soudain, il leva les yeux, et fixa Sophie :

-Tu as toujours moyen de te procurer des uniformes SS ?

Elle le fixa, étonnée:

-De la Wehrmacht, oui, mais SS… Enfin, je devrais pouvoir trouver…

-Tu en prendras un à peu près à ma taille, et un autre pour Marcel. Il faudra aussi un uniforme d’infirmière brune…

-Qu’est ce que tu as en tête ? demanda Etienne, visiblement inquiet et surprit de la réactivité de notre « chef » improvisé.

Deux uniformes SS, un uniforme d’infirmière brune… et tout ça pour quoi ? Je ne suivais pas vraiment le raisonnement d’Edouard, et visiblement, je n’étais pas la seule. Sophie sorti, il fallait faire vite.

-On va se déguiser Sophie, Marcel et moi, et on va aller la chercher. Emile, tu t’occupes des faux papiers. Les modèles sont toujours au même endroit.

Surprit mais obéissant, il sortit à son tour. Dans la pièce, restait Marcel, Edouard, Etienne et moi.

-Tu peux développer, si c’est pas trop te demander.

Mais Edouard semblait comme perdu dans ses pensées, marmonnant des choses à moitié compréhensibles :

-… papier, facile… l’ambulance, je vais me débrouiller… combien de temps …

Mon regard croisa celui de Marcel, et, après avoir inspiré un grand coup pour me donner du courage, je m’approchais d‘Edouard et posais doucement ma main sur son épaule. Il sursauta, alors que nos regards se croisèrent.

-A quoi penses-tu ? Dis nous…

Je voyais clairement qu’il hésitait. Lui aussi, avait-il comprit qu’il y avait un traitre parmi nous ? A n’en pas douter. Il nous regarda tour à tour. Sa main se posa sur la mienne et il la serra. J’étais apparemment la seule personne en qui il avait confiance, étant donné que je n’avais pas quitté la maison depuis que je m’étais réveillée. Cela se lisait dans son regard. Finalement, il nous expliqua :

-Seuls les prisonniers, et les soldats entrent dans les bureaux de la gestapo. Il faut donc que nous soyons l’un ou l’autre. Entrer sera facile, mais sortir avec un prisonnier… Il nous faut des autorisations de la Kommandantur. Quand les médecins internes ne peuvent plus assurer la survivance des prisonniers, ils les envoient dans les hôpitaux militaires, avant de les ramener pour continuer à les interroger. Les infirmières brunes sont mandatées pour ce genre de choses. Ce sont des fanatiques, elles ne valent pas mieux que les SS. Nous ne seront jamais près pour ce matin. Il faudra attendre trente-six heures. Juste avant la relève du matin, c’est là qu’ils sont les plus vulnérables.

Son idée tenait la route. A un détail près.

-Sophie ne parle pas allemand. dis-je d’une petite voix.

Edouard releva vivement la tête. Il ne semblait pas avoir pensé à ce détail. Nous n’étions que deux filles du réseau à être là et à pouvoir réagir à temps. Une seule de nous deux parlait allemand. Son regard se durcit et il lâcha ma main, avant de dire avec force et d’une voix autoritaire :

-Non Caroline !

-C’est la seule solution, et tu le sais. Elsa ne tiendra pas indéfiniment. Trente-six heures, c’est déjà beaucoup trop ! On ne peut pas tergiverser plus que ça.

-Tu n’es pas en état.

-Nous n’avons pas le choix ! m’écriai-je alors .

Edouard se tourna vers Marcel, qui haussa les épaules. Etienne baissa la tête, ne semblant pas vouloir prendre partie.

-Très bien… finit-il par abdiquer, au prix d’un effort extrême. La commissure de ses lèvres tremblait légèrement en prononçant ces mots. Il devait être entrain de se demander si je ne m’effondrerais pas sous le coup de la douleur au milieu de la Gestapo. Je ne le savais pas moi-même.... Tout le monde te croit morte. Il va falloir changer une petite chose.

Je fronçais les sourcils. Se dirigeant vers sa trousse, il en sortit une bouteille d’eau oxygénée, seul « désinfectant » réellement trouvable dans cette période dangereuse. Il me la lança et je l’attrapais au vol, le regardant sans comprendre.

-Tes cheveux. Trop reconnaissables. On sait jamais qu’on croise quelqu’un qui t’ai vu danser.

Je fis « oui » de la tête. L’eau oxygénée éclaircirait mes cheveux, me rendant blonde, pour quelques temps. Mais ma véritable couleur finirait par revenir…

Après, tout alla très vite. Sophie revint aux premières heures du jour, avec les uniformes. Elle me monta le mien, et m’aida avec mes cheveux. Ils étaient toujours aussi longs, et son aide ne fut pas de refus. Elle me demanda si je me sentais vraiment prête pour faire ça. Je me doutais qu’Edouard l’avait briefée pour me faire changer d’avis, mais ma volonté ne faiblirait pas. Personne n’avait fermé l’œil. Vers deux heure de l’après midi, un bruit de moteur retentis dans la cour intérieure. Edouard et l’ambulance. Comment avait-il fait ? Personne ne le savait, et personne ne le saurait. En début de soirée, ce fut le tour d’Emile de revenir, avec une pochette dissimulée dans sa veste, contenant tout ce dont nous avions besoin. L’heure approchait. J’étais un peu nerveuse. J’avais peur à chaque instant que la douleur ne revienne à nouveau, et m’empêche d’aller jusqu’au bout. Les calmants ne faisaient que peu d’effets, mais je ne devais pas en abuser. Ce qu’il aurait fallut, c’était de la morphine, mais impossible de s’en procurer ici. Habillée de mon uniforme, gradé lieutenant d’ailleurs, les cheveux retenus en chignon militaire, dont une mèche savamment disposée par les soins de Sophie dissimulais ma cicatrice encore rouge et les points qui l’aidaient à se refermer, pas de pansement, malgré le risque d’infection, ça aurait été trop visible, je dévalais les escaliers pour rejoindre les garçons. Emile siffla en me voyant. Blonde avec cet uniforme, j’aurais pu passer pour la parfaite petite allemande ayant fait les jeunesses Hitlériennes et adhéré au parti à peine ma majorité.

-Ca va ! lui lançai-je en levant les yeux au ciel.

Il me tendit la pochette, et me fit voir tous les papiers. Je le remerciai.

-Bonne chance à tous les trois.

-Ne t’en fais pas, nous reviendrons, tous.

Je paraissais bien plus confiante que je ne l’étais en réalité. J’étais morte de peur.

*Fin du Flashback*

Nous nous arrêtâmes devant l’entrée de la cour de l’école militaire, transformée en QG de la gestapo. Personne dans les guitounes. Juste une lueur venant du poste de garde. Ils devaient s’être endormis. Nous y avions pensés. Pochette en main, j’ouvris la porte pour descendre de l’ambulance.

-Soi prudente ! me dit Edouard.

-Ne t’en fais pas, au bluff, je suis la meilleure.

Mon petit chapeau vissé sur ma tête, pochette sous le bras, j’avançais d’un pas assuré vers le poste de garde, alors que l’ambulance attendait devant la petite barrière rouge et blanche. Je grimpais les marches, et, d’un grand geste, ouvris la porte à la volée. Deux gardes, de la Wehrmacht, somnolaient sur la table.

- Eben so halten Sie die Wache? aboyai-je, feignant une colère noire.
C’est ainsi que vous montez la garde ?

Ils bondirent, au garde à vous, bégayant des excuses.

- Ich will ihn nicht kennen. Es ist zehn Minuten her, daß wir warten.
Je ne veux pas le savoir ! Cela fait dix minutes que nous attendons.

Je sortis les documents, mettant en tête celui avec le logo de la Kommandantur. Dans leur état, ils ne verraient que ça.

Wir haben Ordnung zu werden eine Gefangene zu versuchen und sie vor der Morgendämmerung zurückzubringen, wir haben nicht die ganze Nacht.
Nous avons ordre devenir chercher une prisonnière et de la ramener avant l'aube, nous n'avons pas toute la nuit.

-In ihr Ordnung, mein Leutnant !
A vos ordres, mon lieutenant !

Je voyais bien le regard inquiet et dégouté qu’ils me lançaient. Même dans leurs propres rangs, les infirmières brunes n’étaient pas aimées. Je repris mes documents, et fit claquer mes talons :

-Heil Hitler ! dis-je en levant le bras.

Ils me répondirent de la même manière, et je tournais les talons pour regagner l’ambulance.

-C’est bon, soufflai-je en montant.

La barrière fut soulevée et nous pénétrâmes dans la cour. Pendant que je m’avançais vers le supérieur des deux incapables, les garçons garèrent l’ambulance, et sortirent un brancard.

- Wir kommen, Elsa Auray zu suchen. Ordnung des kommandantur.
Nous venons chercher Elsa Auray, ordre de la Kommandantur.

Je lui tendis le papier, qu’il parcourut longuement, me rendant un peu nerveuse, avant de me le rendre, arborant un sourire qui sonnait faux. Il s’effaça et me montra le chemin, vers un escalier qui descendait aux caves.

- Folgen Sie ich.
Suivez-moi.

J’inclinais la tête, et fit un signe aux garçons qui nous emboitèrent le pas. Ce que je ne savais pas, c’est qu’en bas, dans ce qui promettait de n’être qu’un enfer sur terre et où il nous faudrait à tous trois tout notre sang froid pour aller jusqu’au bout de notre mission, se trouvait quelqu’un que j’avais aimé, et aimait toujours même si je ne m’en souvenais plus. Quelqu’un qui me manquait et hantait mes rêves chaque nuit, sans que je puisse voir son visage. Quelqu’un qui essaierait de m’empêcher de sauver mon amie.
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MessageSujet: Re: « La prochaine fois tu peux être certaine que je ne te manquerai pas ! »   « La prochaine fois tu peux être certaine que je ne te manquerai pas ! » Icon_minitime1Sam 21 Aoû - 1:49

« Avant ou après le peloton d’exécution ? », répondit l’insolente après que je lui ai dis que ce défaut la tuera, un jour.

C’était à croire qu’elle faisait tout pour m’agacer, pour faire monter la pression, mais réalisait-elle bien qu’elle ne faisait que de s’enfoncer ? Que ce n’était pas cela qui allait la sauver, bien au contraire, elle ne ferait que de se ramasser des coups supplémentaires. Mais non, je n’allais pas jouer à son petit jeu, je n’allais pas me laisser emporter par mes sentiments - qui s’en trouveraient d’ailleurs bien changés d’ici quelques minutes - et j’allais lui faire face en tout honneur et toute dignité, si seulement j’arrivais à cacher cette haine qui jaillissait en moi à son égard. De la pure aversion, oui, je la détestais, les mots n’avaient pas besoin d’être mesurés, je voulais qu’elle soit punie pour ce qu’elle osait prétendre, et je voulais qu’elle souffre avant de connaître le trépas. Les heures qu’elles étaient en train de connaître n’étaient pas de tout repos pour elle, cela se lisait sur ses traits mélangés entre la douleur qu’elle éprouvait et la fatigue d’un sommeil agité par des gardiens venant frapper aux barreaux de sa cellule qui ne faisait que soutenir son état de fatigue non seulement physique, mais aussi mentale.

Je ne répondis pas à sa remarque, ne la jugeant pas assez digne d’intérêt. Non, répondre à ses persiflages ne m’intéressait pas, et cela ne ferait que de la réjouir d’autant plus qu’elle ne se prendrait pas de coups tant que nous serions en train de nous parler. Mais je vis d’un très bon œil le regard qu’elle me lança quand je ramassais son vieil harmonica. Sans doute avait-il une valeur sentimentale à ses yeux pour qu’elle me vrille ainsi, comme si les révolvers de ses prunelles s’efforçaient à tirer des balles de plus en plus fortes que cela m’atteigne en plein cœur. Mais non, les métaphores sont bien belles, mais ce n’était pas le cas. Et loin de l’être, je n’avais pas assez de valeur matérielle pour m’attacher à quelque chose, à vrai dire. Les seuls objets précieux, pour moi, étaient les dossiers que je montais au fur et à mesure que l’on progressait dans la découverte de nouveaux réseaux de résistance, ou bien concernant les politiquement incorrects qui pourraient bien influencer la population et nous causer du tort. Ce n’était pas pour rien que le camp de Dachau - le premier dans l’histoire allemande - avait accueilli des opposants politiques. Ils étaient dangereux. Tout autant, voir même plus, que la résistance, car c’étaient ces hommes-là qui avait de l’influence sur le peuple et dont les idées étaient susceptibles de mener à mal notre propre politique.

« Tu me le paieras, Fehmer. Profite, profite bien, parce que je te promets que tu regretteras amèrement ces moments.. », menaçait Elsa.

Le regard que je lui lançais était tellement pitoyable qu’elle aurait été une saleté sous la semelle de ma botte que s’en aurait été la même chose. Ainsi lui répondis-je sur un ton tout à fait adapté à la situation, y allant d’un répondant tout à fait mesuré.

« Il ne semble pas que tu sois en position de menacer, Elsa », commençais-je.

Elle était toujours à terre, et sa chaise était toujours renversée. Je n’avais pas pris la peine de la redresser et aucun soldat n’avait daigné le faire, sans doute involontaire de perturber mon « entretien », et attendant un ordre pour s’exécuter. Je poursuivais sur la mention des regrets, elle supposait que j’allais regretter ces moments, mais était-elle réellement sérieuse ?

« La seule chose que je pourrai bien regretter te concernant serait de ne pas avoir assez savouré le jour où tu es tombée entre nos mains. C’est dommage, on ne connaît la véritable torture physique qu’une seule fois avant que les blessures ne guérissent et que l’on soit conduit au peloton d’exécution, le même dont tu parles avec autant d’humour sarcastique… », lui fis-je remarquer.

J’avais pris mon temps, mâchant bien mes mots afin qu’elle comprenne tout. Je parlais un français bien correct, sans faute de grammaire ni de conjugaison, mais j’avais toujours dans le fond de ma voix cette petite pointe d’accent allemand qui ne s’en ira sans doute jamais, quel que soit le temps que je passerais dans ce pays. Je n’avais pas de regrets à avoir concernant Elsa, son arrestation, le fait que nous nous étions pourchassés pendant un bout de temps - et j’ignorais encore que nous allions pouvoir recommencer nos courses poursuites dans quelques minutes - tout avait marché comme je l’escomptais. Son malheur constituait aujourd’hui précisément mon plus grand bonheur. La voir enfermée, la voir à notre merci, ces allemands qu’elle haïssait tant. Et pourtant je ne profiterai jamais assez de cet instant où je pouvais la dominer de toute ma hauteur en me riant de ces sarcasmes ridicules. Qu’est-ce qui m’en empêchait ?

« Tu es autant responsable que moi de ce qui s’est passé. Tu savais qui elle était, jamais tu n’aurais dû la revoir, ça ne pouvait se terminer que comme ça. », rétorqua la rousse, toujours au sol.

Mais bon sang, elle ne savait pas à quel point je lui donnais raison sur ce qu’elle disait ! Mais jamais je ne le lui aurais dit en face, hors de question. Donner raison à un détenu alors qu’on est sensé être le tortionnaire, c’est lui accorder l’absolution. Cependant je devais admettre qu’elle avait juste sur toute la ligne, je savais qui était Caroline - parler d’elle au passé m’écorchait le cœur - et pourtant j’avais continué à la voir malgré tout. Je n’aurais pas dû, nous n’aurions pas dû, et rien ne se serait déroulé de la même manière. J’avais choisi d’écouter ce que me disaient mes sentiments, je m’étais laissé guidé par eux, au lieu de ma raison et j’en payais le prix actuellement. Elle était morte, que pouvais-je bien faire à cela ? Rien, mais le destin ne nous avait pas encore tout révélé, j’allais bientôt devoir faire face à un fantôme. Ou presque. Ou pas, même. J’omis volontairement toute réponse à la remarque d’Elsa, ne voulant pas montrer une quelconque émotion, un quelconque accord, que mes camarades auraient remarqué. Je savais que la jeune femme, elle, n’en avait pas perdu une miette. Je détournais le regard vers les soldats, me concentrant à nouveau sur le pourquoi elle était détenue ici, et leur fit un signe de tête qu’ils comprirent instinctivement, ne tardant pas à aller redresser la chaise de la torturée. Je changeais volontairement de sujet une fois qu’elle fut remise droite sur son siège en métal.

« Tes habiles tentatives de manipulation ne changeront rien au fait que tu resteras de toute façon assise ici, aussi longtemps qu’il le faudra, et nous recommencerons encore tant que tu n’auras pas parler… », lui indiquais-je.

Je baissais soudainement le regard sur son avant-bras, tâché d’une encre rouge qui se révélait être son propre sang. Son poignet avait été touché dans sa chute par un coin de la chaise métallique qui avait perforé son épiderme. Sur le coup, je ne dis rien, mais j’espérais promptement que cette énième blessure lui causait une petite douleur de plus. C’est souvent en accumulant que cela fait déborder le vase. M’avançant d’un pas de prédateur vers elle, mes bottes claquant sèchement sur le sol, j’approchais mon visage du sien tout en m’emparant fermement de son poignet qu’elle maintenait dans son dos, n’ayant pas vraiment le choix puisqu’elle y était attachée. On aurait pu croire à un geste tendre, ma main n’étant pas très loin des hanches de la jeune femme, mais j’appuyais si fort que le sang devait s’accumuler aux alentours de la plaie et ne tarderait pas à jaillir plus abondamment une fois que mes doigts desserreraient leur prise.

« Refuser de parler, c’est ton choix. Mais tu es faite de chair et de sang, Elsa, ne te crois pas indestructible au point d’endurer toutes les variations de torture sans broncher. », fis-je remarquer d’une voix prévenante.

La jeune femme savait parfaitement quels renseignements je voulais, quels détails il me manquait concernant sa brigade, concernant le réseau tout entier. Avec quels autres clans étaient-ils reliés, en communication ? Quelles villes étaient mises en ellipse autour de Paris et si un soulèvement était prévu, toutes ces indications qui nous permettraient de progresser plus vite dans cette affaire. Mais cloîtrée comme elle l’était dans ses sarcasmes, la bien trop têtue Elsa endurait les coups avec cet air toujours froid et méchant collé au visage. Je me reculais avant qu’elle n’ait le temps de me cracher dessus, si elle avait encore assez de salive pour cela, et j’entendis au loin des pas qui s’approchaient de cette pièce, sans y prêter grande attention.

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Elsa Auray
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J'ai vu la mort se marrer et ramasser ce qu'il restait.



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PAPIERS !
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MessageSujet: Re: « La prochaine fois tu peux être certaine que je ne te manquerai pas ! »   « La prochaine fois tu peux être certaine que je ne te manquerai pas ! » Icon_minitime1Dim 22 Aoû - 19:36

Non, en effet. Elle n’était absolument pas en position – au sens propre et figuré du terme - de menacer. Elle n’était pas en position de faire quoi que ce soit, d’ailleurs, si ce n’était fulminer. Ce qu’elle n’avait que trop montré. Là, coincée sous cette chaise de fer dont la simple idée suffisait à ranimer la douleur des coups – s’était-elle seulement atténuée ? -, le corps maintenu dans une position qui n’avait rien de naturelle, Elsa tenta, les yeux fermés, de recouvrer le sang-froid qui était en passe de lui faire totalement défaut. Rester froide, ou du moins, le redevenir. Il le fallait, absolument. Autant pour cesser de renvoyer cette image de faiblesse que ses traits, à la pâleur presque macabre ne soulignaient déjà que trop, que pour elle-même, et sa capacité à tenir. Encore, le plus longtemps possible. Jusqu’à ce qu’ils ne se lassent, et finissent par comprendre qu’elle ne dirait rien de plus, torture ou non. Derrière ce masque glacial, c’était de son silence qu’elle s’assurait. Du fait qu’elle puisse tenir bon, tant bien que mal, et à garder haute cette tête qui ne devais jamais retomber. Un détail. Un détail dont elle ne saurait dire pourquoi elle lui attachait tant d’importance mais auquel elle se raccrochait sans céder. La tête haute. Si tout devait se terminer ici, au moins le ferait-elle la tête haute. A défaut de ne pouvoir sérieusement menacer qui que ce soit. Oh, n’allez pas croire qu’elle ne pensait pas ses paroles. Au contraire, la menace, dans ses mots, était plus que sérieuse. Mais pour la mettre à exécution, il fallait être libre. Et la porte qui fermait cette pièce qu’elle abhorrait profondément avait beau n’être qu’à quelques mètres, dans l’esprit d’Elsa, elle ne s’ouvrait plus. Si ce n’était sur sa cellule.

« La seule chose que je pourrai bien regretter te concernant serait de ne pas avoir assez savouré le jour où tu es tombée entre nos mains. C’est dommage, on ne connaît la véritable torture physique qu’une seule fois avant que les blessures ne guérissent et que l’on soit conduit au peloton d’exécution, le même dont tu parles avec autant d’humour sarcastique… »
La voix de Reinhard s’éleva de nouveau, toujours au-dessus d’elle. Elle tenta un mouvement. Bouger, au moins pour pouvoir le dévisager correctement, et déplacer cette foutue chaise dont l’arrête semblait prendre un plaisir douloureux à peser, coupante, sur le poignet qu’elle avait déjà entaillé et qui maintenant, au milieu des élancements, se faisait particulièrement bien sentir. L’allemand lui parla lentement, en appuyant sur chacun des mots qu’il prononçait, comme s’il tenait à ce qu’elle comprenne exactement et parfaitement ce qu’il lui disait. Elsa ne répliqua pas le moins du monde, se contentant de lui lancer comme elle le pouvait deux traits glacials de ses prunelles. Il n’y avait rien à répondre. Du moins, pas à cela. Un instant passa, avant qu’elle n’évoque de nouveau la mort de Caroline. Elle ne quitta pas un instant Fehmer des yeux. Il y eut un silence. Un silence lourd, encore, mais dans cette pièce qu’aucune lumière si ce n’est celle d’une vague lampe n’éclairait, tout semblait peser le double de son poids ordinaire. Le silence, les mots, les gestes, cette chaise qui gisait sur son dos… Sur les traits du jeune homme, elle put clairement lire qu’encore une fois, elle l’avait touché. Elle avait raison. S’il n’était le seul responsable de ce qui s’était passé au Lutécia, il n’en était pas moins l’une des causes. C’était pour lui que la danseuse avait manqué de se tuer. Pour lui et pour une histoire à laquelle ni l’un ni l’autre n’aurait dû simplement croire.

Ce fut sans la moindre surprise qu’Elsa n’obtint pas de réponse. Pas de réponse orale, du moins, car les traits de Fehmer parlaient pour ses lèvres. Néanmoins, lorsqu’il se retourna, adressant un signe de tête aux soldats postés dans un coin, la froide rousse se raidit. Les coups se passaient de mots. Aussi les appréhenda-t-elle, crispée. Pour rien, cette fois. Brusquement, les hommes se contentèrent de redresser le siège de métal sous lequel elle gisait toujours et de l’y réinstaller. Impavide, les prunelles lançant toujours des éclairs glaçants, mais vidée, elle se laissa faire comme une simple poupée de chiffon, prenant lentement conscience des contusions qui s’ajoutaient à celles de son visage. De nouveau assise, elle redressa encore la tête, ignorant la mèche rousse tombée devant celle-ci. Face à elle, redevenu lui aussi totalement lisse – si ce n’était cette lueur de haine que l’on pouvait lire dans chacun de leur quatre yeux – Reinhard reprit la parole.
« Tes habiles tentatives de manipulation ne changeront rien au fait que tu resteras de toute façon assise ici, aussi longtemps qu’il le faudra, et nous recommencerons encore tant que tu n’auras pas parlé… »
Un rictus qui n’avait plus même rien d’ironique étira les lèvres abîmées de la jeune femme. Elle planta son regard, implacable, dans celui de Fehmer, le soutenant durement. Encore une fois, elle resta muette. Ses habiles tentative de menaces ne changeraient rien au fait qu’elle ne dirait de toute façon rien, aussi longtemps qu’il le faudrait, et elle s’obstinerait encore tant qu’il n’en aurait pas assez. Il devrait l’avoir compris, pourtant, les coups ne lui faisaient pas peur. Elle laisserait sa fierté céder à la douleur, sa tête retomber plutôt que de dire quoi que ce soit de soit. Ce qui n’arriverait pas.

Lentement, du pas plein d’assurance du prédateur certain de son pouvoir sur sa proie, Reinhard s’approcha. Ne l’ayant pas un instant quitté des yeux, Elsa surprit le regard qu’il posa sur son avant-bras, et la longue entaille qui le lui barrait, à l’intérieur, écoulant un filet vermillon. Elle se crispa légèrement, devinant la suite, et serra les poings, appuyant sur les marques qu’elle avait déjà laissé ainsi sur ses paumes. Mais rien ne perçait sur son visage que la froideur, qui donnait à ses traits pâles et tirés des airs mortifères. Fehmer se pencha doucement sur elle, près, trop près d’elle, tandis que l’une de ses mains allait se refermer autour du poignet de la résistante, poignet qui sembla soudain bien faible entre ses doigts.
« Refuser de parler, c’est ton choix. Mais tu es faite de chair et de sang, Elsa, ne te crois pas indestructible au point d’endurer toutes les variations de torture sans broncher, fit le jeune homme, sur un ton qui se voulait condescendant et d’un air faussement prévenant. »
La rousse ne répondit pas, trop occupée à serrer les dents sous la brûlure ardente qui semblait se concentrer sous sa peau, et sous la main de l’allemand. Non, elle ne broncherait pas. Pas même là, raide, les traits crispés malgré elle. Elle se focalisa sur lui, sur ce regard glacial de haine et de menace qu’elle lui darda dessus, le défiant sans ciller ni céder à la douleur, de longues secondes durant. Du moins, c’est ce qu’il lui parût. Lorsqu’il s’éloigna, lâchant prise, elle se laissa légèrement retomber contre le dossier de la chaise, le sang lui battant douloureusement dans le poignet, s’échappant, plus fluide encore, de la plaie.

Il y eut un instant de silence. Lourd, toujours. Un instant durant lequel elle ne put s’empêcher de fermer les yeux, ignorant les bruits de pas qui se rapprochaient. Des bruits salvateurs, pourtant, mais qu’en pouvait-elle savoir ? Jamais la brigade ne devrait tenter quoi que ce soit pour venir la chercher, la chose était bien trop dangereuse. Alors, cette éventualité ne fit pas même ne serait-ce que lui effleurer les pensées – pensées bien trop occupées ailleurs. Lentement, elle sentit sa tête vaciller, et se redressa brusquement, soulevant ses paupières, comme quelqu’un se rendant compte qu’il est entrain de piquer du nez. Le regard de Fehmer posé sur elle attira sur lui ses propres prunelles, froides mais voilées.
« Je te rendrais coup pour coup, je te le promet, siffla-t-elle. Il savait très bien de quels coups elle parlait. Des coups mentaux. Tu pourras toujours faire les comptes à la fin, mais sois sûr d'une chose : tu n'es pas plus intouchable que moi, acheva-t-elle. »
Cynique, comme si utiliser la prétendue mort de Caroline ne lui faisait ni chaud ni froid, ignorant que la danseuse allait elle-même la démentir. Bien plus tôt qu'elle ne pourrait l'imaginer.

(han, j’y vais, je fais les codes en rentrant XD)


Dernière édition par Elsa Auray le Lun 23 Aoû - 0:03, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: « La prochaine fois tu peux être certaine que je ne te manquerai pas ! »   « La prochaine fois tu peux être certaine que je ne te manquerai pas ! » Icon_minitime1Dim 22 Aoû - 22:25

- Folgen Sie ich, me dit-il en me rendant mon ordre de mission.

*Mais je ne demande pas mieux* songeai-je, en repliant la feuille de papier, et de la glisser dans la pochette que je refermais soigneusement, avant de la coincée entre mon coude et ma taille, et d’acquiescer d’un signe de tête, Marcel et Edouard dans mon dos, tout aussi stoïque que moi. J’imaginais sans peine que, comme moi, sous leur masque d’indifférence et blasé, ils étaient très nerveux. Le moindre cafouillage, la moindre bêtise, et nous étions morts. Enfin morts… Sauver une personne était très difficile, en sauver quatre, impossible. Nous risquions le tout pour le tout à vouloir sortir Elsa de ce guêpier. Risquer trois vies pour en sauver une seule. Personne, et surtout pas les nazis, ne pouvaient s’attendre à cela. Nous même, en temps normal… Ici, nous ne l’aurions pas risqué. Mais Elsa était Elsa, et sans elle, la brigade partirait à vaux l’eau, et c’était à tout prix ce qu’il nous fallait éviter. Rien de pire que des actions isolées et désorganisées. Il fallait un minimum de canalisation à tous ces jeunes qui voulaient résister et lutter contre l’envahisseur allemand, sa propagande, ses rafles, ses exécutions sommaires. Qui n’a jamais perdu un proche, une connaissance, à cause d’eux ? « Nous avons perdus la guerre » a dit Pétain, « mais la lutte continue » a répondu de Gaulle ! Nous faisions partie de ceux qui, jamais, ne baisseraient les bras. Nous étions déterminés, déterminés à offrir nos vies à notre pays, à cette France si belle et si douce qui méritait bien mieux que ce qu’il lui arrivait désormais. Combien d’entre nous seraient encore debout à la fin ? Car oui, je voulais croire qu’il y aurait une fin, une fin positive, que ce conflit terminerait par la défaite totale des armées d’Hitler, à l’Est comme à l’Ouest. Il faudrait du temps, beaucoup de temps, trop de temps… Combien de vies seraient ainsi détruites, anéantis, oubliées même ? Nous ne savions pas encore que les années 1939 à 1945 seraient pavées de soixante million de morts, et que nombre d’exécutions s’en suivraient encore. Le plus grand charnier que l’Histoire à jamais connu et connaitra jamais, espérons-le. Triste record qui nous était encore inconnu, et le serait encore longtemps.

Après m’avoir désigné l’escalier extérieur, dont les dalles usées et creusées au milieu témoignaient du passage fréquent et de l’ancienneté des lieux, il nous entraina à sa suite. Edouard derrière moi, passa discrètement sa main dans mon dos, avec une légère pression, pour m’insuffler du courage autant que pour s’assurer que je tenais le coup. Je lui répondis par un battement de cil que tout allait bien. Il inclina la tête. Marcel passa devant nous, tenant le brancard – un drap blanc tendu entre deux bouts de bois longs de deux mètres chacun, enroulé pour le moment – d’une main. L’autre allait fréquemment à sa poche. Je frémis un bref instant, devinant sans peine ce qu’il y avait dissimulé. Une grenade. Voir deux. Je sentis mes muscles se crisper. Edouard le savait-il ? Avant que j’ai pus le lui demander du regard, il avait détourné la tête et commençait à son tour à descendre les vieilles marches, sans se retourner. Ce trou noir les happa l’un après l’autre. Le jour n’était pas encore près de se lever. Avec un léger soupir, et après avoir pris une grande inspiration, je descendis à mon tour la volée de marche et pénétrai dans le couloir sombre. Il ne s’était pas écoulé plus de deux minutes.

Le couloir était moins sombre qu’il n’y paraissait vu de la cour. Ca et là, une lampe tempête était accroché, pour permettre aux « visiteurs » de voir où ils mettaient les pieds. Les sous sols étaient un véritable labyrinthe. Ca et là, des cris et des gémissements nous parvenaient de l’autre côté des portes que nous dépassions. J’essayais d’encrer dans mon esprit le chemin pour récupérer la sortie. Droite… Gauche… Encore une fois à gauche. Le sous sol était humide et froid. Les conditions de détention semblaient être très précaires. Mais pas pire qu’ailleurs. En général, les prisonniers ne restaient pas très longtemps ici. Quelques jours, semaines tout au plus, le temps d’un « interrogatoire de rigueur ». La rigueur, ça, la gestapo connaissait. Ils étaient prêt à tout pour la moindre information, le moindre nom… D’un rien, ils faisaient un filet imparable aux juifs, communistes et autre résistants. Des chiens avides de sang et de mort. Pire que la milice. La milice pouvait être comparé à ces animaux qui, une fois les traqués morts, détruisaient tout ce qu’ils avaient été. Des vautours. Eux aussi étaient à abattre. Leur tour viendrait, en temps et en heure.

De temps à autre, notre « guide », ralentissait pour s’assurer que nous le suivions toujours. Qu’il ne s’inquiète pas, nous n’étions pas prêts de le lâcher. Plus nous avancions, plus je me demandais comment je ferais pour nous débarrasser de celui là. Elsa ne devait pas s’attendre à nous voir, aussi, sa réaction pourrait être étrange, et nous trahir. On ne savait pas ce qu’ils lui avaient fait subir. Après un énième coude, l’unterscharführer s’arrêta, faisant face à un soldat qui, visiblement servait de gardien. Ils échangèrent quelques mots à mi voix, et l’officier de service parut contrarier. Il se tourna vers moi, agacé.

- Sie ist mitten in Verhör…
Elle est en plein interrogatoire

Un frisson me parcourut l’échine. Oh non ! Qu’est ce qu’ils avaient bien pu lui faire subir ? Et surtout, comment la sortir de là. Dans mon dos, j’aurais presque pu sentir le regard inquiet qu’avaient échangé les garçons. Tout reposait sur moi et ma capacité à décider l’allemand.

- Und dann? répondis-je sèchement.
Et alors ?

Mon regard était sans appel. J’espérais ne pas avoir à redire que nous avions des ordres, et qu’ils devaient être suivis à la lettre. Un instant, nous nous affrontâmes du regard. Hors de question que je cède. Nous n’avions pas fait tout ça pour rien ! Elsa était là, quelque part, nous ne repartirions pas sans elle. Point barre. Après environ trente secondes qui me parurent une éternité, il finit par céder, baisant les yeux.

- Sehr gut. Kommen Sie.
Très bien. Suivez moi.

Une fois qu’il eut tourné les talons, je fermais un instant les yeux, infiniment soulagée. Marcel me sourit, et reprit le chemin, suivit par Edouard, moi fermant toujours la marche. Enfin, de nouveau, l’officier s’arrêta devant une porte. De l’autre côté, nous parvenaient indistinctement des paroles, et parfois, un bruit de coup. Nous nous arrêtâmes à sa suite, visiblement une fois de plus, il semblait hésiter. A croire qu’il craignait la réaction de l’officier en charge du « dossier ». Ce que je ne savais pas, c’est que je connaissais fort bien, intimement même, l’officier en question, et qu’il croyait que je m’étais donné la mort devant lui.

- Was ist es, worauf Sie warten? Öffnen Sie diese Tür!
Qu’est ce que vous attendez ? Ouvrez cette porte !

Lui lançai-je sèchement. A l’instant précis, j’eu l’impression de lui être très antipathique. Il me foudroya du regard, pensant que je ne le remarquerai pas. Qu’il se rassure, je n’avais pas l’intention de lui trainer dans les jambes très longtemps, bien au contraire. Plus vite nous sortirions de cette galère, mieux cela m’irait. Il finit par s’exécuter, à contre cœur. Il ouvrit la porte, et immédiatement ce fut le silence à l’intérieur. Qui donc osait venir interrompre un interrogatoire de cette importance ? Je pris la pochette, sortant de nouveau tous les papiers officiels – officiellement faux surtout – préparés avec soin par Emile. Plus vrais que vrais. J’étais fière de lui ce soir. Il devait se sentir tellement coupable de la mort de Loïc… Faire quelque chose pour sauver sa chef, et éviter une nouvelle mort dans nos rangs. Loïc… Lui aussi était tombé sous le feu allemand. Combien de morts faudrait-il encore pour que cette guerre s’arrête ? L’ambiance lourde et infecte de la salle d’interrogatoire se propagea jusqu’au couloir et me procura une sensation très désagréable. J’avais la sensation que je n’étais pas la seule, mais ce n’était pas le moment de flancher. C’était maintenant que tout allait se jouer. L’officier de service entra le premier dans la pièce, pour le moins glauque, et disparut de mon champ de vision. Il échangeait sans doute quelques mots avec l’officier en charge pour expliquer le pourquoi de cette interruption. Marcel et Edouard entrèrent à leur tour. Nous n’avions pas de temps à perdre. J’espérai qu’Elsa n’avait pas parlé, qu’elle n’était pas trop amochée, et surtout, surtout, que d’aucune manière, aucune de ses réactions ne nous trahirait. Après avoir inspiré une grande goulée d’air, et recomposé mon masque de marbre, raide et digne, j’entrai dans la pièce. Je dus me retenir de pousser un petit cri surprit. Elsa était en sang, et visiblement épuisée. Je serrais les dents, espérant que ma surprise et mon dégoût ne s’était pas lus sur mon visage, avant de balayé la pièce du regard, m’arrêtant un instant sur chacun des soldats présent. A part la prisonnière, j’étais la seule femme de la pièce, hors de question de me laisser marcher sur les pieds. Tout reposait sur ma capacité à convaincre mon auditoire.

- Die Gefangene geht unter unserer Gerichtsbarkeit. Hinaus! Aboyai-je d’un ton sans appel.
La prisonnière passe sous notre juridiction. Dehors !

Malgré tous ces regards braqués sur moi, l’un d’entre eux me semblait plus persistant, plus inquisiteur, imposant même, me détaillant sous toutes les coutures. Je me sentais mal à l’aise d’un coup, comme transpercée et mise à nue, pourtant, j’évitai au maximum de me tourner dans cette direction.

- Schnell.
Vite.

Devant l’absence de réaction de leurs officiers, les soldats, un peu surprit sans doute, finirent par sortir. Seul l’officier supérieur, celui dont le regard me mettait si mal à l’aise, n’avait pas bougé. Edouard avait contourné la chaise et commençait à regarder l’étendue des dégâts. Marcel, après avoir posé et déroulé le brancard, avait reculé, laissant notre ami faire. Soudain, alors qu’obstinément, je trouvais un réel intérêt à regarder Edouard, Marcel, qui avait détaillé la pièce, tomba sur le pistolet d’Elsa, et l’harmonica. Il n’avait jamais été d’un naturel très doux, s’emportant facilement. Son regard alla de ces objets, à l’officier supérieur qui n’avait toujours rien dit, avant de voir sur sa manche des traces de sang. Celui d’Elsa à n’en pas douter. Peut être ne s’en était-il même pas rendu compte. Le sang de Marcel ne fit qu’un tour. D’un geste rapide, il sortit son pistolet et le pointa vers l’allemand. Son geste m’avait alertée, et mon regard croisa un instant le celui de l’officier. Une seconde de trop. Détresse et incompréhension s’y lisaient. Son visage, ses traits… cela appela quelque chose en moi. Quelque chose de fort, trop fort pour lutter.

- NON !


Je me demandais un instant qui avait pu pousser ce cri qui pourrait nous trahir à tout instant, mais au regard que mes deux coéquipiers du jour me jetèrent, je compris que c’était moi. Ce cri qui, sans que je m’en rende compte, venait de franchir la barrière de mes lèvres, était l’exact écho de celui que l’officier avait hurlé deux semaines plus tôt.
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MessageSujet: Re: « La prochaine fois tu peux être certaine que je ne te manquerai pas ! »   « La prochaine fois tu peux être certaine que je ne te manquerai pas ! » Icon_minitime1Lun 23 Aoû - 16:18

Elsa semblait s’être ankylosée, l’effet de fatigue se lisait sur ses traits déchirés par les nombreux coups reçus et la douleur déformait son visage, à tel point que bientôt elle serait totalement méconnaissable. Seule sa chevelure couleur de feu pouvait bien la trahir, et cela ressortait d’autant plus dans le noir que du sang était venu maculer ses cheveux déjà bien roux. La jeune femme tentait de bouger, en vain, et je regardais d’un œil curieux son corps blessé, me demandant à quel moment elle allait craquer. Craquer dans deux sens : soit elle allait décidé qu’elle en avait assez et nous livrerait en cédant les informations que nous désirions, soit elle allait tomber dans les pommes à cause d’un surplus de douleur. J’hésitais encore quant à l’issue de tout cela, était-elle si inconsciente du danger ? Son propre corps ne supporterait bientôt plus toutes ces blessures qu’on lui infligeait, mais Elsa, elle, ne bronchait pas et n’émettait pas de signes qui indiquaient qu’elle était prête à capituler. C’était ce qui lui manquait, d’ailleurs, un peu de bon sens, un peu de conscience vis-à-vis d’elle-même. Elle s’oubliait, ne pensant qu’à me lancer des menaces et des sarcasmes plutôt que de réaliser à quel point ses muscles, sa chair, sa peau, ses organes commençaient à s’endommager.

Au lieu de cela, elle restait silencieuse à mes paroles, écoutant ce que je disais, esquissant parfois un rictus qui déformait son visage tout entier, perçant le masque glacial qu’elle s’efforçait de conserver. Quelle idiotie, Elsa, rends les armes au lieu de te faire tant de mal ! Au lieu de cela, elle gardait la tête haute. Une tête qui se faisait bien lourde, d’ailleurs, et qui commençait à vaciller dangereusement. J’arrêterais là notre séance pour aujourd’hui, elle en avait eu assez. Quelqu’un allait venir pour la bander et la panser, déposant quelques gouttes d’alcool là où les plaies risquaient l’infection, afin qu’elle ne meurt pas dans sa cellule. Cela allait la brûler, renforçant sa douleur, mais les interrogatoires à venir n’allaient que renforcer tout cela. Le fait qu’elle ait serré si fort les dents tandis que j’avais appuyé sur son poignet en lui parlant d’un peu trop près prouvait qu’elle avait encore toute sa sensibilité, qu’elle n’était pas encore anémiée. Mais s’en était assez pour cette fois, nous pouvions recommencer plus tard si elle ne parlait pas d’ici là.

« La torture est une symphonie en plusieurs mouvements », avais-je entendu dire un officier, dans mes jeunes années, alors qu’il venait lui-même de faire parler un suspect arrêté. J’avais toujours gardé cette phrase dans un coin de ma tête, repensant à ses dires. Seulement dans le cas présent, j’ignorais que la note finale se résumerait à mon propre échec. Il fallait dire que j’avais en face de moi une personne qui avait bien des camarades dans la Résistance, et cette reine des abeilles était très demandé par ses sujets, qui n’allaient pas tarder à venir la récupérer. Comment ? Par ruse, ce que j’ignorais encore. Il fallait déjà le faire, pour franchir toutes les barrières, ne serait-ce d’abord que de langage, pour parvenir à ces petits sous-sols désaffectés.

« Je te rendrai coup pour coup, je te promet. Tu pourras toujours faire les comptes à la fin, mais sois sûr d’une chose : tu n’es pas plus intouchable que moi. », siffla la rouquine.

Je lui jetais un regard désintéressé et désinvolte, comme si ce qu’elle disait me fatiguait, comme si je n’avais pas le moindre intérêt à porter à ses paroles qui se perdaient entre les murs de cette pièce froide et sombre, pour ne pas dire glauque. Quel profit pouvait-elle tirer des menaces qu’elle m’adressait ? Aucun, à première vue, car non seulement elle parlait dans le vide, mais en plus elle n’en récolterait que plus de misères.

« Je n’ai jamais prétendu le contraire, mais tes menaces sont vaines, tu peux les garder pour toi, Elsa. », lui fis-je remarquer d’une voix atone, presque badine.

J’avais parfaitement compris le sous-entendu qu’elle avait fait. Je pouvais bien la toucher physiquement, elle avait le pouvoir de me toucher mentalement, en me parlant de la mort de Caroline. Ses menaces ne me faisaient pas peur, de toute façon, qu’avais-je encore à perdre ? Je n’avais jamais prétendu être intouchable, et je ne savais pas à quel point j’avais raison quand la porte derrière moi s’ouvrit à la volée, laissant découvrir la personne qui se cachait derrière et qui ordonna à mes soldats de sortir de la pièce.

« Die Gefangene geht unter unserer Gerichtsbarkeit. Hinaus! [...] Schnell. », maugréa une voix féminine, pleine d’autorité.

J’aurais du bouger, moi aussi, et sortir de la pièce comme la femme l’avait demandé, mais j’en fus tout bonnement incapable. Mes jambes refusèrent de bouger, au même titre que mes lèvres refusèrent de bouger pour parler, ne serait-ce qu’émettre un son, un seul. Mes traits avaient pris une toute autre expression, stupéfaite, il n’y avait pas de mots pour décrire comment je me sentais à présent. Un fantôme, voilà ce que je venais de voir. Mes yeux ne cessaient de fixer la femme, comme si j’avais devant moi mon propre pire cauchemar, alors qu’en réalité c’était plus le miracle que je n’attendais plus. Caroline Lisieux, qui s’était tiré une balle en pleine cervelle au Lutécia, devant mes yeux, venait de réapparaître devant moi. Qu’était-ce ? Une réincarnation ?

J’avais ma salive et détaillais la jeune femme avec attention. Malgré sa nouvelle coiffure et sa nouvelle couleur de cheveux, c’était bien elle, Caroline. La danseuse que j’avais connu à l’opéra théâtre, la résistance, la saboteuse, la suicidaire, la fragile, la femme que j’aimais. J’en oubliais tout, autour, du sang d’Elsa sur les manches de ma veste d’uniforme jusqu’à cet homme qui me braquait un fusil dessus.

Un « NON » prononcé m’avertit du danger.

Incapable de bouger et même de parler, je me contentais de regarder Caroline dans les moindres détails, mais quelque chose avait changé, je ne saurais dire quoi. Ah si, cela me revenait : elle portait sur moi le regard qu’elle pourrait porter à un banal inconnu, à quelqu’un qu’elle ne reconnaît pas. En l’occurrence, qu’elle ne reconnaissait plus. Pourtant, il s’en était passées des choses entre nous deux, pourquoi me regardait-elle avec ce drôle d’air ? Je tournais la tête un instant pour regarder l’homme qui avait bien failli me tirer dessus, incrédule, puis reportait mes yeux sur la jeune femme, tout hébété. J’avais l’air de quelqu’un qui ne comprenait rien à rien, et à vrai dire c’était un peu le cas. J’étais devenu pâle, livide même, à cet instant je ne faisais pas le fier. Elsa devait apprécié les secours et se réjouir que je ne gagne pas non plus cette fois-ci, si elle en avait encore la force, mais je ne la voyais plus à l'instant qu'il était, l'esprit trop embrouillé par cette vision qui s'offrait à moi. La mort, la vie, j'étais perdu. Avais-je loupé un chapitre ?



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Elsa Auray
Elsa Auray
J'ai vu la mort se marrer et ramasser ce qu'il restait.



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PAPIERS !
■ religion: Juive, paraît-il, mais il y a bien longtemps que Dieu n'existe pas pour elle.
■ situation amoureuse: Définitivement de glace.
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MessageSujet: Re: « La prochaine fois tu peux être certaine que je ne te manquerai pas ! »   « La prochaine fois tu peux être certaine que je ne te manquerai pas ! » Icon_minitime1Mar 24 Aoû - 1:52

Comme une brûlure de plus, Elsa pouvait presque sentir le regard de Fehmer courir sur elle, la détaillant sans la moindre once de gêne. Et pourquoi en aurait-il, d’ailleurs ? Après tout, il avait remporté cette partie, c’était indéniable, et sa victoire se jouait ici, dans cette lugubre cave occupée par la Gestapo et ses plus sombres pratiques, au travers de cette sinistre scène. Triste spectacle, oui, qu’était celui que devait offrir la prisonnière. Triste, ou pas. Simple question de point de vue, certainement. Point de vue que n’exprimaient absolument pas les yeux qui pesaient sur elle, bien au contraire. Alors, Reinhard, qu’est-ce que ça faisait de pouvoir la dévisager ainsi, effondrée sur cette chaise et les traits en sang ? De ne plus avoir à se demander que si elle allait tenir encore longtemps ou ne tarderait plus à lâcher prise ? Car, vouloir rester de marbre, autant que possible, était une chose. Elsa n’était pas idiote, ou naïve ; le pouvoir en était une autre. Et elle le savait, si la douleur ne lui faisait pas peur – il lui suffisait de s’en convaincre -, son corps était bien plus fragile que l’esprit de fer qu’elle s’était forgé. Bien plus fragile, oui, à un point qu’elle ne pouvait pas même soupçonner. A deux dans un corps, les coups avaient, inévitablement, de doubles impacts. Mais qui, dans cette pièce, à observer la frêle silhouette attachée à son siège, pouvait seulement imaginer ce qui se tramait derrière cette peau d’albâtre, insidieux, invisible, et qui ferait de ce que les femmes voyaient comme la plus belle aventure de leur vie un calvaire incongru pour Elsa ; de ce que certains verraient comme un miracle de chance une idiote et cruelle ironie.

Combien de temps ? Épuisée, elle ne put s’empêcher d’y songer. Combien de temps, combien d’heures la verraient encore assise sur ce siège de métal, dont l’un des coins rougissait du même liquide que celui qui s’échappait de son poignet ? Si les sarcasmes la tenaient, si cette haine – n’ayons pas peur des mots – sourde qu’elle avait pour l’homme dressé devant elle l’empêchait de se laisser aller, si cette révulsion à l’idée de faiblir plus encore devant lui l’obligeait à garder la tête haute, elle savait trop bien que les coups finiraient par venir à bout des barrières qu’elle avait érigé entre eux et elle, de celles qui restaient. Si elle devait craquer, alors elle le ferait. Mais muette. Plutôt crever à ses pieds, aussi inconcevable la chose soit-elle, plutôt de que lâcher le moindre mot. Jamais une chose pareille n’aurait dû arriver, jamais elle n’aurait dû avoir à penser ça. Mais la situation était ce qu’elle était, et cette pièce froide et sombre, ces soldats postés dans un coin, cette chaise rouillée par le sang d’autres prisonniers passés avant elle obligeaient la résistance à revoir ses priorités. L’idée de faiblir là, devant Fehmer, aurait suffit à lui faire serrer les poings. Rester de marbre, la tête haute, surtout. Mais si au bout de compte il fallait choisir entre ça et trahir la brigade, alors, elle n’hésiterait pas. Quoi que cela puisse impliquer. De nouveau, son esprit épuisé s’égara sur Marc. Elle se souvenait parfaitement de ce qu’il lui avait dit, un jour, alors que Loïc leur avait fait remarquer le danger qu’il y avait à s’éprendre, au sein de la brigade. Et il n’avait pas tort. Qui pouvait être sûr que l’amant ne parlerait pas pour sauvé l’aimée, et inversement ? « Alors, si ça arrive, moins je parlerais, plus tu sauras que je t’aime… » lui avait-il murmuré, un sourire aux lèvres. A quand, à combien de siècles remontait cette phrase ? A une époque où, encore, le jeune homme ignorait à quel point il garderait le silence.

« Je n’ai jamais prétendu le contraire, mais tes menaces sont vaines, tu peux les garder pour toi, Elsa. »
La voix de Fehmer s’était de nouveau élevée, détachée, comme s’il n’accordait pas la moindre importance à ses propres paroles. La rousse resta de glace, muette, de nouveau. Que pourrait-elle répondre ? Rien. Il avait raison, ses menaces étaient inutiles. Mais elle n’avait pas d’autre issue. Et quand bien même elle aurait voulu répliquer, les évènements ne lui en auraient pas laissé le temps. Soudain, la porte de l’immense salle s’ouvrit, dans un grincement qui prenait facilement des allures sinistres, dans ce caveau froid et lugubre. Un silence pesant s’abattit, l’espace d’un instant. Pesant et surpris. On interrompait pas un interrogatoire sans une très bonne raison. Par réflexe, Elsa tourna très légèrement la tête vers l’entrée. Bien lui en prit. Si son corps en avait eu la force, sans doute en aurait-il sursauté. Là, derrière un SS qu’elle n’avait encore jamais vu, deux silhouettes masculines se dessinèrent. Deux silhouettes familières, mais vêtues des mêmes uniformes que n’importe lequel des occupants de cette pièce. Marcel. Édouard. Aussitôt, elle comprit. Aussitôt, sans même qu’elle ne puisse songer à la retenir, la tête de la prisonnière se laissa doucement retomber en arrière. Pas un éclat ne passa dans ses yeux, rien ne pouvant trahir quoi que ce soit de sa surprise – et le mot était faible – de son soulagement à voir pénétrer dans la pièce deux membres de la brigade qui jamais n’auraient dû se trouver là. Si ce n’était pour elle. Et aussi dangereuse l’entreprise soit-elle, aussi fous étaient-ils d’avoir tenté quoi que ce soit, Elsa se prit à exhaler un faible soupir, souffle inaudible pour la plupart des occupants de la pièce. Le calvaire était fini.

Et puis brusquement, il y eut cette voix. Familière, elle aussi, s’exprimant dans un allemand auquel la rousse ne comprit absolument rien. Mais peu importaient les mots, seule l’intonation et ce qu’elle impliquait comptait. Caroline. Caroline qui s’était tuée devant Fehmer, Caroline à laquelle elle avait dissimulé l’existence de ce dernier, Caroline dont elle lui avait assuré la mort… Jamais ils n’auraient du se recroiser. Jamais. Elsa n’eut pas la force de redresser la tête. Du moins, pas immédiatement et au prix d’un effort violent. Un vertige lui échappa, mais elle put néanmoins poser les yeux sur l’officier, planté raide à quelques pas, à peine, les prunelles rivées sur la jeune femme, blonde, qui venait de faire sortir tous les autres soldats. Il l’avait reconnue. La fausse infirmière, en revanche, ne lui jeta pas un regard de plus qu’à n’importe lequel des allemands présents dans cette pièce. Rien. Rien ne sembla la marquer dans ce visage qu’elle connaissait pourtant si bien. L’esprit à bout de souffle, la jeune femme ne chercha pas plus loin, le visage inquiet d’Edouard se présentant soudain à sa vision voilée. Dans ses yeux, lorsqu’elle put les voir correctement, se lisait le dégoût, l’horreur même, et aussi, une autre question, une angoisse… Au prix d’un nouvel effort, elle secoua la tête, négative. Non, elle n’avait rien dit. Le jeune médecin comprendrait. Il n’avait que trop raison de se le demander, de le lui demander, tout de suite. Savoir s’il fallait tuer l’officier, récupérer des notes prisent sur les propos du prisonnier était primordial. Une vague lueur éclaira un instant les traits tirés du hongrois. Très vague. Et puis il y eut ce cri.

« NON ! »
La voix de Caroline, une nouvelle fois. Chacun s’arrêta. Edouard se retourna brusquement, découvrant la scène au regard vide de la froide rousse. Marcel, une arme pointée dans la direction de Fehmer, s’était figé sous les yeux soudain paniqué de la fausse infirmière. Les choses mirent un instant à s’emboîter correctement dans l’esprit de la prisonnière. Elle l’avait sauvé. Encore. Brusquement, elle serra les poings, sentant la colère lui saisir de nouveau la gorge. Reinhard, pâle comme la mort, n’avait pas bougé, se demandant certainement pourquoi la femme qu’il avait vu se tuer sous ses yeux au Lutécia se trouvait debout devant lui, sur le point de faire s’échapper celle de laquelle il avait tant de mal à n’obtenir aucune information. Tout se mélangeait dans la tête d’Elsa dont les élancements intenses reprirent, violents. Un instant, elle ferma les yeux. Il fallait tenir bon, encore un peu, juste le temps de sortir de là, de leur faciliter la tâche. Au dessus, la voix d’Edouard murmura quelque chose qu’elle ne comprit pas. Doucement, néanmoins, elle sentit quelque chose passer sous ses bras pour la soulever, enfin, de cette foutue chaise. Un frémissement douloureux la parcourut de part en part, mais elle souleva néanmoins ses paupières. Une fois de plus, elle échappait à Fehmer. Une fois de plus, elle lui glissait entre le doigts. Lui revint sa réplique, la première, celle qu’il lui avait susurrée en l’arrêtant, des siècles plus tôt. Un rictus qui ne tenait plus rien du sourire lui échappa, tandis que Marcel et Edouard la maintenaient solidement, l’éloignant légèrement du siège. Une dernière fois, elle redressa la tête, la tourna vers l’allemand qui venait d’être poussé là où elle se trouvait assise, quelques secondes plus tôt. Dans ses grandes prunelles bleues, glaciales, dardées sur lui, un éclair cynique brilla lorsqu’elle croisa son regard.
« C’était bien essayé… siffla-t-elle d’une voix rauque. »
Il y eut un silence, dans la salle puis, délicatement, les deux jeunes hommes sur lesquels elle s’appuyait le moins possible commencèrent à l’accompagner en direction du brancard. En vain. Brusquement, alors que Marcel tentait de la redresser légèrement, sur ses pieds, un vertige lui troubla la vue. La douleur, implacable, se réveilla à l’instant même où elle tenta un pas en direction de la toile étalée par terre. Insoutenable. Alors, sans qu’elle ne puisse même songer à réagir, à tenter de lutter, Elsa eut la brutale sensation de s’effondrer. Son corps rendait les armes, vidé. La jeune femme qui, durant les trente six dernières heures n’avait pas une seule fois baissé la tête n’eut soudain d’autre choix que de laisser l’inconscience la happer, douloureuse. Un mot échappé à l’un des garçons retentit à ses oreilles, incompréhensible. Et puis plus rien. Le noir. Enfin.
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MessageSujet: Re: « La prochaine fois tu peux être certaine que je ne te manquerai pas ! »   « La prochaine fois tu peux être certaine que je ne te manquerai pas ! » Icon_minitime1Mar 24 Aoû - 11:46

Pourquoi avais-je crié ? Qu’est ce qui m’avait pris ? J’étais devenue folle. Je connaissais les enjeux et les risques de cette mission presque suicide, assez bien pour ne pas en rajouter en criant, un cri qui aurait pu rameuter tous les SS et membres de la Gestapo présents dans les lieux. Un instant, le silence se fit dans la salle humide et sombre, et nous écoutâmes, le moindre bruit, le moindre craquement. Mais rien, pas un bruit de botte, ni de cliquetis caractéristique d’une arme qu’on recharge. Pas le moindre bruit à part celui de nos respirations accélérées par la tension ambiante. Pourtant, pas l’un d’entre nous, ni même l’allemand, n’avaient bougé. Nous restâmes figés pendant une bonne minute qui parue l’éternité. Il continuait de me fixé, pâle comme quelqu’un qui a vu un fantôme. Nos regards se croisèrent de nouveau, mais ceux de Marcel et Edouard, qui, eux aussi me fixaient toujours, eurent mon attention prioritaire. Rapidement, je réfléchis à ce que je pourrais dire qui nous sauverait tous les quatre, qui sauverait les apparences, et surtout qui sauverait l’officier nazi en face de moi donc le regard et le visage appelaient tant de choses en moi qui pourtant refusaient de s’identifier.

-Si tu le tue, on est tous morts !

Nouveau regard entre Marcel et Edouard. Le premier semblait demandé au second si la balle qui m’avait traversé la tête ne m’avait pas rendue complètement dingue. Parfois, je me le demandais aussi. Mais sur l’instant, mon argument était imparable. Il m’était apparut comme limpide, et nous sauverait tous.

-Le coup de feu va résonner dans toute la prison. On est là pour sortir Elsa de là, pas pour nous faire tirer comme des lapins. Si jamais tu appuies sur la détente, c’est toute la Gestapo qui débarque.

Mon argument tenait la route, et, après un énième regard de concertation avec Edouard, qui haussa les épaules, Marcel ramena son coude au niveau de son corps, mais tenant toujours l’allemand en joue, avec un regard peu amène qui signifiait clairement toute l’aversion qu’il avait pour celui qui avait malmené Elsa. Il devait aussi se sentir coupable de l’avoir abandonnée dans cette rue, quelques heures plus tôt, pourtant, ce n’était pas sa faute. C’était celle de cette fichue taupe, et le jour où elle nous tomberait entre les mains, elle passerait un sale quart d’heure. On ne trahit pas la résistance ! L’allemand ne bougeait pas. Il avait à peine sursauté quand j’avais crié. Pourquoi me fixait-il de la sorte ? Pourtant, plus je le regardais, plus son visage me paraissait familier. Tellement familier… Mais j’ignorai encore à quel point il me l’était, et à quel point, avec de la chance, il me le serait encore. J’essayais de détacher mon regard de lui, mais la tâche était ardue et je finissais toujours par le regarder à nouveau. Par instant, j’avais l’impression que Marcel me surveillait plus moi, que lui, ce qui m’agaçait profondément. Edouard, lui, semblait avoir clos l’incident, bien plus préoccupé par l’état de Elsa que par mes états d’âmes bien magnanimes à l’égard d’un ennemi. Elsa semblait « ailleurs ». Quand on voyait dans quel état elle était, cela n’avait rien d’étonnant. A se demander comment elle faisait pour toujours rester à peu près consciente. Je serrais les dents. Elle n’avait pas parlé. Comment le savoir sans lui demander ? Si ça avait été le cas, elle nous l’aurait fait comprendre immédiatement, et Edouard ne serait pas resté aussi calme. Elle était restée muette pendant les trente-six dernières heures. Comment avait-elle réussi ? Aucune idée, mais à sa place, je ne suis pas sûre que j’aurais tenu, aussi il était hors de question que les nazis me prennent vivante dans un cas similaire. Edouard fini par détacher Elsa, et, avec une douceur infinie qui le caractérisait, l’aida à passer ses bras par-dessus le dossier de la chaise. Mais il n’arriverait pas à l’aider à se lever seule. Avant qu’il ne le fasse, je m’approchais de lui, et, sans lui demander l’autorisation, pris l’arme qu’il avait à sa ceinture – ce genre de détail faisait défaut à mon uniforme – avant de la pointé à mon tour sur l’officier SS. Je ne me rappelai pas que la dernière fois que j’avais tenu une arme, qui était aussi la dernière fois qu’il m’avait vue en tenir une, je l’avais retournée contre moi et avait appuyé sur la gâchette. Marcel leva un sourcil, alors que je lui désignai Edouard et Elsa.

-Va l’aider, je m’occupe de lui.

Il me regarda, circonspect, semblant se demander ce que je pouvais encore lui réserver, mais il finit par ranger son arme, hésita un instant, avant de prendre celle d’Elsa et le petit harmonica qui avait souffert d’une chute sans doute, avant de glisser l’arme à sa ceinture et l’instrument dans sa poche, sans oublier le regard peu amène à l’allemand, qui ne réagissait toujours pas. Je ne comprenais pas. Qu’il arrête de me regarder de la sorte, de me détailler sous toutes les coutures. Cela me mettait mal à l’aise, mais hors de question que je trahisse le fond de ma pensée. Qu’il cesse tout simplement de me regarder. Je serrais les dents, pour ne pas céder à l’énervement qui me venait. Elsa, soutenue par Marcel et Edouard, réussie à se redresser, attirant mon attention, et pour une fois celle de l’allemand. Dans le regard de notre chef, se lisaient haine, dégoût, et un compréhensible désir de vengeance.

-C'était bien essayé, lâcha-t-elle.

Elle essaya de garder sa dignité jusqu’au bout, mais hélas, ses forces l’abandonnèrent, et elle se serait écroulée à terre si les garçons n’avaient pas été là pour la retenir. J’esquissai moi-même un geste avant de me raviser. Ne pas le laisser sans surveillance. Avec toute la délicatesse du monde, les deux faux SS allongèrent Elsa sur le brancard, et la recouvrirent d’une couverture prévue à cet effet. Du bout de mon arme, je désignai la chaise à l’allemand.

-Aller !

Un regard peu amène accompagna le seul mot que je venais de prononcer. Bon gré mal gré, il s’exécuta. Je saisis une paire de menotte sur la table, et, sans le lâcher des yeux, ni du bout de mon Browning, je passais derrière lui, lui attachant les poignets, serrant plutôt fort. Maintenant que j’étais certaine qu’il ne bougerait pas, je le contournais et rendis son arme à Edouard.

-On file.

Je lui fis « non » d’un signe de tête.

-Passez devant, j’arrive, j’ai deux ou trois choses à mettre au point… dis-je en désignant l’allemand d’un signe de tête.

-Non mais t’es dingue ? me demanda Marcel. Qui est ce qui vient de dire qu’on risquait de se faire tuer ?

-Le temps que vous traversiez les couloirs avec le brancard, j’en aurais fini, je vous retrouverai dans la cour.

-Elle est folle, c’est officiel !

Edouard me regarda, semblant se demander la même chose que Marcel, mais il n’était pas tant de céder non plus. Je n’avais besoin que de quelques minutes. Je lui lançais un regard suppliant. Pourquoi accepta-t-il? Je ne le saurais jamais, toujours est-il qu'il me fit "oui" d'un signe de tête.

-Cinq minutes, pas une de plus !

-Quoi ?? Intervint Marcel, éberlué. Mais Edouard le fit taire d’un signe de la main.

-Sinon on part sans toi, et tu sais qu’une autre mission sauvetage sera impossible quand ils auront découverts le pot aux roses.

-Je le sais. Je serais là dans cinq minutes.

Il hocha la tête, et fit demi-tour. Au moment où ils passaient la porte, je me penchai vers Marcel et pris l’arme d’Elsa qu’il avait à la ceinture. Elle tiendrait dans la pochette. Il me sembla entendre Marcel grommeler :

-Tous plus dingue les uns que les autres…

Et je refermais la porte derrière eux, me retournant vers l’allemand, et m’adossant à la porte.

-Wer sind Sie? Warum sehen Sie mich so an?
Qui êtes vous ? Pourquoi me regardez vous ainsi ?

Lui demandai-je froidement, essayant de juguler la panique que je sentais monter en moi, alliée au stress, et qui commençait à me donner mal à la tête. Avant d’ajouter, un ton plus bas, plus pour moi-même que pour lui, en français cette fois-ci.

-Pourquoi votre visage m’est si familier… ?

De nouveau, je me sentais perdue. Mais il n’était pas tant de craquer.
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MessageSujet: Re: « La prochaine fois tu peux être certaine que je ne te manquerai pas ! »   « La prochaine fois tu peux être certaine que je ne te manquerai pas ! » Icon_minitime1Ven 3 Sep - 11:59

Henri Alleg écrira : « J’ai vu des prisonniers jetés à coups de matraque d’un étage à l’autre et qui, hébétés par la torture et les coups, ne savaient plus que murmurer les premières paroles d’une ancienne prière. ». J’avais vu Elsa crouler sous les coups et pourtant à l’heure qu’il était, j’étais doublement plus hébété qu’elle par la vision qui s’offrait à moi. Un fantôme, un revenant, une apparition, comment le définir ? Ainsi donc, je m’étais menti tout ce temps, mais je ne le réalisais pas encore, trop sous l’effet du choc produit par une arrivée en trombe dans la pièce d’une Caroline blonde jugulant dans la langue de Goeth, et sensée être morte. C’était tout simplement impossible, je l’avais vu tomber devant mes propres yeux, j’avais assisté impuissant à la scène, et le sang avait quitté les veines de la jeune femme pour venir souillé de sa couleur pourpre la moquette de cette chambre rendue sinistre du Lutécia. Si tout ne s’était encore résumé qu’à cela. Mais non.

Elle ne m’avait pas reconnu, et c’était encore ce qui faisait le plus mal dans toute cette histoire. J’étais tiraillé entre le soulagement - dont je ne prenais pas encore conscience - de la voir revivre devant moi, radieuse compte tenu des événements précédents, et le désappointement de constater que je ne suis plus qu’un étranger pour elle. Mais quel étranger ? Un petit lien d’attachement avait du se créer entre nous car la demoiselle avait été incapable de me tuer, allant même jusqu’à crier un « non » perçant à l’oreille de ses camarades qui ne devaient pas me tirer dessus. Était-ce de la pitié ou un arrangement personnel ? Même si elle prétendit par la suite que c’était intentionnel et par pur intérêt, j’espérais encore dans le fond qu’elle puisse réaliser que nous étions bien loin d’être des inconnus l’un envers l’autre.

« Si tu le tues, on est tous morts ! », entendis-je.

« Le coup de feu va résonner […], On est là pour sortir Elsa de là. », et cette dernière phrase allait être le commencement de mon tourment personnel.

Elle allait encore me glisser des doigts, sauf que cette fois elle allait prendre Caroline dans sa fuite. Pourquoi se rappelait-elle être résistante et ne se rendait-elle pas compte de ses sentiments passés ? Ou peut-être pas si passés que cela, d’ailleurs, l’espoir fait vivre. Découvrant une arme à la ceinture de son compagnon, la jeune rousse reconvertit en blonde pour l’occasion avait pointé le pistolet sur moi. Cette scène n’était pas sans me rappeler celle du Lutécia, mais les choses n’étaient pas exactement pareilles. L’air assuré qui avait pris place sur les traits de la danseuse étaient glaçants, non seulement elle savait réellement ce qu’elle faisait, mais en plus elle avait l’air convaincue de ce qu’elle faisait, si sûre d’elle, si sereine, si impartiale.

« Va l’aider, je m’occupe de lui. », dit-elle à l’attention de son camarade.

Les prunelles que je posais sur elle étaient pleines de questions, je ne savais pas du tout à quoi m’en tenir, encore hébété. Je la détaillais avec attention, remarquant le moindre petit détail qui aurait pu changer sur elle. Et il y en avait. Mon regard ne la quittait que pour jeter un œil foudroyant à Elsa tandis que l’arme de Caroline se rapprochait de moi.

« C’était bien essayé. », lâcha la torturée.

Mes dents se serrèrent, et je sentais monter en moi la colère qu’elle me glisse encore des mains, me filant entre les doigts comme un vulgaire petit savon mousseux. Mais quand allais-je bien pouvoir parvenir à mes fins ? Ou même elle ? Nous semblions nous tourner autour, nous trouvant, mais jamais nous ne pouvions garder l’un sur l’autre une emprise durable et irréparable. Que devais-je faire, si prochaine fois il y a ? L’achever directement ? Non, ce n’était pas dans mes projets, il fallait qu’elle parle. La transférer sur Berlin ? Possible, si sa troupe de résistants n’avait pas saboter la ligne de chemin de fer avant, ou même la voiture qui serait susceptible de la conduire loin d’eux. La situation était compliquée, et quand bien même il nous fallait agir plus rapidement. Trente six heures, nous avions trop traîné, elle aurait du être transférée ailleurs pour les interrogatoires, ainsi ils n’auraient pas pu venir la reprendre. La libérer de nos griffes, encore. L’arme que tenait Caroline se rapprocha encore plus de moi, m’indiquant d’un « Aller ! » et désignant la chaise, que je devais m’asseoir dessus.

Je regardais toujours Elsa, hagard, et plutôt satisfait qu’elle perde connaissance à la sortie de la pièce, juste assez près pour que je puisse ne rien manquer de la scène. Justice, si on peut dire. Un soupir d’agacement s’éleva de moi, gonflant un instant ma poitrine. Et mes prunelles se posèrent froidement dans celles de Caroline, tenant tête, et ne semblant rien laisser transparaître. Dans un silence de marbre, non pas sans une once de reproche sur les traits, j’exécutais son ordre. Elle passa des menottes sur mes poignets, et ma tête accompagna son geste tandis qu’elle passait derrière moi. Mes joues se creusèrent, la mâchoire serrée, je ne pouvais pas riposter, en position de faiblesse. Je passais un instant le regard au sol avant de le relever pour regarder Caroline qui me parlait en allemand.

« Wer Sind Sie ? Warum sehen Sie mich so an ? », me demanda-t-elle.

« Ihnen, es mir zu sagen. », répondis-je fermement en instant sur le vouvoiement.
À vous de me le dire.

Mes yeux la fixèrent, cherchant dans les siens une réponse quelconque, attendant qu’une réaction ne se trahisse sur son visage. Mais rien ne semblait vouloir se dévoiler, j’allais donc devoir rester dans l’anonymat pour elle. Cela ne pouvait pas durer, cela ne devait pas durer, il fallait qu’elle se rende compte du passé, car je n’étais pas prêt de l’oublier. Même si tout cela aurait été plus simple pour elle, qui n’aurait plus à être partagée entre deux camps ennemis. Elsa ou moi, la Résistance ou les sentiments, le choix ne pouvait pas opérer. Impossible.

« Pourquoi votre visage m’est-il si familier ? », questionna-t-elle, comme pour elle-même.

« Ta mémoire reviendra, Caroline, il faut que tu te souviennes, il le faut. », murmurais-je pour être certain que ses camarades déjà engagés dans le couloir avec Elsa n’entendent rien.

J’avais répondu à cette question qu’elle s’était posée pour elle-même, mais pas par une réponse qui contentait pleinement le problème. Sa mémoire allait revenir, j’espérais toujours, ce n’était peut-être plus qu’une question de temps. Une question de mensonge, premièrement, j’ignorais qu’Elsa - en plus de l’avoir quelque part poussée à commettre un homicide volontaire sur sa propre personne - lui avait menti sur le déroulement des événements dans la chambre du Lutécia. Caroline aurait pu se souvenir de tout bien plus tôt si ses camarades n’avaient pas brouillé les pistes que sa mémoire aurait pu retrouver à la simple mention d’un nom, d’un prénom, ou même d’un souvenir. Car il ne manquait plus que cela pour que parfois tout se ravive à nos yeux. Un souvenir.

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MessageSujet: Re: « La prochaine fois tu peux être certaine que je ne te manquerai pas ! »   « La prochaine fois tu peux être certaine que je ne te manquerai pas ! » Icon_minitime1Ven 3 Sep - 17:00

La porte se referma sur Marcel et Edouard, portant le brancard sur lequel Elsa s’était évanouie. Le noir enfin, pour elle, qui semblait la soulager. Combien de temps mettrait-elle à se remettre ? Physiquement, quelques semaines, mois tout au plus, je la connaissais, elle voudrait être debout dès demain. Mais psychologiquement… Serait-elle jamais remise ? Elle assurerait que oui, elle allait bien, que c’était oublié, mais nous pourrions lire dans ses yeux, pour ceux qui la connaissaient, les plus avisés et ceux qui faisaient preuve d’empathie, que ce n’était pas le cas, et ne le serait peut être jamais.

Toutes ces épreuves devaient avoir un but, quelque chose de positif, un exutoire et une raison. Nous devions nous en sortir, le printemps reviendrait en France et en Europe, il fallait le croire. Sinon, nous allions tous devenir fous, à lutter pour rien. Chaque petite victoire était célébrée comme si la guerre était finie, mais discrètement. Il s’agissait souvent de choses que les gens « neutres » ne voyaient pas. Il le valait mieux pour eux, car peut être ne l’auraient-ils pas comprit. La pièce était étrangement silencieuse, et je ne cessais de fixer l’allemand en face de moi. Je le connaissais, j’en étais certaine. Mais où ? Quand ? Si seulement j’avais pus m’en souvenir. Ce que je ne savais pas, c’est que si je m’en étais rappelée, jamais je n’aurais pus soutenir son regard à cet instant précis. Un regard où je ne lisais plus que de la surprise et de l’incompréhension, mais aussi du soulagement, sans borne. Et aussi… de l’amour…

Seule de temps à autre, le bruit d’une goutte d’eau tombant à terre, rongeant peu à peu le sol de la pièce dans un sillon irrégulier sur le sol nu. Etait-il étrange de la comparer à l’espoir et la liberté qui, peu à peu, réussiraient à faire reculer la haine et l’incompréhension dans lesquelles notre monde avait basculé ces derniers mois ? La lumière qui percerait les ténèbres et ferait en sorte que nous puissions nous reconstruire, peu à peu, lentement, mais surement.

Mais pour l’instant, la situation était inversée, et le chat était devenu souris, et il était à présent entre mes griffes. Mais je n’étais pas lui, et bien que les coups soient une langue internationale, comprise par tous, je m’interdisais d’en user. La violence ne résolvait rien, bien qu’il fallait parfois l’utiliser pour réussir à atteindre notre but : la liberté. La route qui y menait serait pavée de sang et de larmes, de corps même. Et rien, jamais, ne pourrais faire oublier ceux qui avaient lutté, ceux qui avaient souffert, pas même l’amour. Mais certains de ceux qui avaient soufferts seraient oubliés. Leurs corps jamais ne seraient retrouvés, et leurs actions sombreraient dans les limbes de la mémoire de ceux qui, au fur et à mesure, les rejoindraient dans l’au-delà.

Nous étions là, à lutter. Et nous venions de remporter une petite victoire. Une victoire que la propagande salirait, si jamais elle en parlait. Ils auraient honte, et ce n’était que le début. Le début d’un combat incessant qui laisserait bien des traces, mais pas toutes. L’histoire est écrite par les vainqueurs. Mais eux aussi s’arrangent toujours pour cacher leurs erreurs. Personne n’est parfait la simple raison qu’avec la perfection, vivre serait vain.

Le regard de cet homme en face de moi… Comment penser un instant qu’il était responsable de ce qu’il venait d’arriver à mon amie, alors qu’il me fixait avec une telle intensité ? J’étais perdue, seule et livrée à moi-même, acculée au mur qui me séparait de ma mémoire. Sèchement, dans sa langue, je lui demandais qui il était et ce qu’il me voulait. Sans se démonter, il me répondit sincèrement :

-Ihnen, es mir zu sagen.

Je retins un rictus, alors que mes traits se crispaient dans une moue proche de la folie. Je ne comprenais plus. Son regard me hurlait que je le connaissais, qu’il était important pour moi, mais ma mémoire refusait de le reconnaitre. Qui es-tu ? Je le fixais de nouveau. Voyait-il le trouble dans lequel il m’avait jetée, et se rendait-il compte de ce qu’il faisait ? Peut être, peut être pas … Les yeux sont les fenêtres de l’âme, et les siens étaient tellement sincères.

-Sie sind in der Lage nicht, das Boshafte zu machen !
Vous n'êtes pas en position de faire le malin !

Pourtant, plus forte que moi, cette phrase en français franchit mes lèvres, sans que je puisse l’en empêcher. Il y répondit pourtant. Sa voix teintée de cet accent allemand, ces intonations… Tout ceci me semblait tellement familier, tellement habituel.

-Ta mémoire reviendra, Caroline, il faut que tu te souviennes, il le faut.

Je me figeai, interdite, les yeux écarquillés. Il venait de m’appeler par mon prénom, me tutoyant même. Pourquoi ne me rappelai-je pas ? POURQUOI ? Je réussis à me tourner vers lui, l’incompréhension totale de mon visage n’était plus à dissimuler. Quand bien même l’aurais-je voulu, je ne l’aurais pas pu.

-Comment connaissez-vous mon nom ? soufflai-je, dépassée par les évènement.

Je traversai la distance qui nous séparait, les larmes commençant à se former dans mes yeux, et, le saisissant par le col, j’approchai mon visage du sien, à le toucher presque, avant de crier.


-QUI ETES-VOUS ?

Comme brulée par son regard et par le fait de le toucher, je reculais violemment, jusqu’à heurter le mur à côté de la porte. Ce que je venais de faire pouvait signer mon arrêt de mort. Si jamais les allemands m’avaient entendue… Je n’avais que cinq minutes, et le temps imparti devait être écoulé. Pourtant, je me sentais crucifiée par ces deux pupilles noisette qui ne cessaient de me fixer. A tâtons, je réussis à attraper la poignée du vantail en acier massif, et à l’ouvrir, sans quitter l’allemand du regard. Le voile commençait à se déchirer, mais il me fallait partir, et vite. Sans savoir que quelques heures plus tard, je serais dans les bras du même homme que je laissais attaché à une chaise, cette chaise où il avait torturé Elsa. Sans un mot, et complètement paniquée, je réussis à sortir de la geôle en claquant la lourde porte derrière moi. Tout ceci n’avait servit à rien.


[FIN]
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